Arts du goût et sciences

Les chemins croisés de la chimie et de l’art culinaire

29 octobre 2008

Pendant une semaine, Hervé This, spécialiste de la “cuisine moléculaire”, et Sang Hoon Degeimbre, jeune chef cuisinier belge d’origine coréenne parmi les plus créatifs de sa génération, viennent mêler leurs savoirs dans des ateliers du lycée hôtelier. Un vrai régal...

Hervé This, spécialiste de la “cuisine moléculaire”. (photo PD)

Le stage “arts du goût” concocté par le Rectorat à destination des classes à PAC est animé par deux personnalités exceptionnelles. Sang Hoon Degeimbre est un jeune restaurateur connu en Belgique pour sa table “L’air du temps”. D’origine coréenne, le jeune chef dit être « un autodidacte de la cuisine ». Il est considéré comme un des plus créatifs de sa génération et s’attache, depuis dix ans déjà, « à comprendre l’essence de la cuisine, à savoir la transformation physico-chimique des aliments ». Rien d’étonnant à ce qu’il ait un jour croisé la route d’Hervé This, « chimiste depuis l’âge de six ans », devenu physico-chimiste à l’Institut national de la recherche agronomique et inventeur de la gastronomie moléculaire.
Sang Hoon Degeimbre a, par exemple, acquis auprès d’un laboratoire un thermostat à immersion qui lui permet « de cuire chaque aliment dans les règles de l’art ». Un exemple célèbre de ses “inventions” culinaires est, paraît-il ,« l’œuf cuit à 63°C en beurre de truffe ». L’édition 2007 du Michelin lui a décerné la cotation très enviée “espoir 2 étoiles”. Il est aussi reconnu comme sommelier et a été invité à participer au World Culinary Summit de Singapour et au Sommet gastronomique de San Sebastian.

Hervé This raconte qu’il a inventé la gastronomie moléculaire - qu’il définit comme « la science qui s’intéresse à la cuisine » - pour produire les connaissances dont ont besoin ceux et celles qui cuisinent, s’ils ne veulent pas seulement opérer par mimétisme et par habitude. Non pas que les savoirs populaires ne soient pas bons, mais, dit-il, « s’ils ne sont pas testés et validés, ils vont se perdre ».
Cela a commencé pour lui en 1980 par une histoire de soufflé au roquefort, qui lui a inspiré l’idée d’« utiliser la chimie (sa passion depuis l’enfance- Ndlr) pour explorer la cuisine ». En lisant un jour dans une recette qu’il fallait « mettre les jaunes d’œufs 2 par 2 », il s’est lancé dans un test gigantesque des « dictons et tours de main culinaires ». Il en a depuis recueilli plus de 25.000 ! Avec un ami, Nicholas Kurti, qui était alors président de la Royal Society, il s’est amusé à vérifier ces dictons - du style “la mayonnaise ne prend pas quand la femme a ses règles”, “les œufs en neige montent mieux si on les bat toujours dans le même sens”, “les haricots sont plus verts si on les cuit avec un couvercle”, etc... - dans l’idée de chercher à comprendre « comment la cuisine marchait ». C’est à cette activité qu’il a donné le nom de « cuisine moléculaire ». En 1992, un premier colloque international de la gastronomie moléculaire s’est tenu en Sicile, où se trouve un grand centre de la physique des particules. Ce colloque continue d’avoir lieu tous les deux ans et la nouvelle science s’étend dans de nombreux pays.
Il est par exemple l’inventeur d’une mousse au chocolat sans œufs. « On n’est pas assez riche pour gaspiller des œufs si ce n’est pas absolument nécessaire », dit-il ! « Pour faire une émulsion, il suffit d’avoir de l’eau, de l’air et du gras », commence-t-il. Et donc, en faisant fondre du chocolat avec de l’eau dans une casserole (220 gr de chocolat pour 20 cl d’eau), puis en mettant cette casserole dans des glaçons, il suffit de fouetter. « On obtient ce que j’ai appelé du “chocolat chantilly” et on peut appliquer ce procédé à bien d’autres ingrédients ».
La cuisine moléculaire repose sur trois pieds : nouveaux ingrédients, nouveaux ustensiles, nouvelles méthodes. Hervé This questionne sans arrêt tous les procédés, les ustensiles de la cuisine.
Invité hier dans un grand hôtel de la côte Ouest, il se lance dans une grande théorie sur la déperdition de chaleur du fourneau voisin. « Les 8/10ème de cette chaleur sont perdus... c’est anormal, il fait déjà chaud dehors », expose-t-il.
Un des principaux obstacles rencontrés est la peur du changement.
Hervé This a une anecdote pour chaque phénomène, une idée d’innovation pour chaque plat. « On peut avec du collier à 4 euros/kg obtenir une viande fondante qui se mange à la cuiller », dit-il du braisage, qui est le mode de cuisson du carri. Le principe en est une cuisson longue, de plusieurs heures à température constante (70°) obtenue dans un four. Il fallait y penser...

P. David


Hervé This : « Il faut séparer l’or de sa gangue... »

« Je suis là parce que j’ai appris qu’allait se créer une Maison des Civilisations et de l’Unité Réunionnaise. Or, j’ai créé en 2004 à l’Académie des sciences une Fondation qui s’appelle Sciences et cultures alimentaires, dont le but est de développer la culture alimentaire dans les régions de France et de servir de Centre technique de la cuisine - qui n’existe pas encore. Il faut se fonder pour cela sur les Régions, les Conseils régionaux.
Je rêve que cette Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise soit le centre du Pôle régional Réunion pour cette Fondation de l’Académie des Sciences.
Ici à La Réunion, il y a des tas de savoirs qui vont être perdus... Si on va dans les Hauts, il doit y avoir des vieilles gens qui savent quantités de choses. Si on ne les recueille pas, si on ne les met pas dans un musée, ce sera perdu parce que ce ne sera pas forcément transmis.
En plus, à La Réunion, c’est fascinant parce qu’il y a plusieurs cultures, qui ont sans doute fait un amalgame, en langue française. On peut imaginer que des dictons indiens se soient agrégés à des dictons venant d’Afrique ou d’Europe... Ces dictons ne sont pas tous justes, donc il faut les tester - c’est ce que nous faisons au lycée hôtelier - et il faut les propager quand ils sont justes. Il faut séparer l’or de sa gangue, pour garder l’or... »

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