Parution : “Rasine domoun Salazi”

Les étapes de l’occupation du territoire salazien

15 février 2005

“Rasine domoun Salazi”, qui vient de paraître sous l’égide de l’Écomusée de Salazie dirigé par Patrice Pongérard, est l’œuvre collective d’un programme de recherche sur le peuplement du cirque. Un beau travail d’édition illustré par des documents d’archives et des peintures du 19ème siècle.

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Le programme de recherche initié par l’Écomusée de Salazie s’inscrit dans un projet local de développement culturel, animé par un collectif de chercheurs qui ont croisé leurs disciplines respectives pour comprendre la colonisation du cirque. “Rasine domoun Salazi” est la cinquième publication de l’Écomusée, dont ce programme de recherche a été financé par la Région et la DRAC. L’ouvrage regroupe cinq interventions recoupant des approches ethno-historiques, généalogiques, géographiques et environnementales.
Patrice Pongérard, qui a dirigé ce travail collectif, ouvre cette recherche et les questions qu’elle soulève avec un texte sur "les étapes de l’occupation du territoire salazien", qui part de la demande de concession présentée au gouverneur, en juillet 1830, par onze pétitionnaires de l’oligarchie sucrière et foncière, engagés dans une fuite en avant pour surmonter le fort endettement où les avaient entraînés leurs investissements dans ce secteur alors en plein essor mais traversé par une crise financière qui va éliminer les exploitants les plus fragiles. Des 205 sucreries recensées en 1830, la moitié a disparu l’année suivante. "La conquête du cirque est l’objet d’un groupe de particuliers..." qui obtiennent une première concession de 9 ans, accompagnée d’une exemption de l’impôt de capitation sur les Noirs. Un tracé de route est proposé dès octobre 1830 et les premiers habitants s’installent et se partagent les terres. Une note de 1835 recense trente-sept propriétaires qui deviennent "les maîtres du cirque". Et Patrice Pongérard relève que dans cette genèse de la société salazienne, l’histoire réunionnaise nous démontre une fois de plus que dans la lutte pour la terre, les nantis en mal d’accumulation opposent à l’administration une force de négociation qui pèse plus lourd que le sort des "damnés de la terre" exclus de l’économie de plantation.

"Le phalanstère salazien"

Ce point fait une transition avec l’étude que l’historien David Gagneur consacre aux origines de la colonisation du cirque et à l’essai d’interprétation qu’il en donne, dans une interrogation sur "une dynamique de changement social". Cette interprétation part de présupposés de précédentes études qui ont décrit "l’idéal utopique" attribué à ce qui a été appelé le "phalanstère salazien". David Gagneur décrit "un système familial communautaire" et montre que vingt-neuf des quarante premiers concessionnaires appartiennent à une même famille de sucriers et propriétaires fonciers de la côte Est, engagés dans une rivalité économique avec le “clan Desbassyns” et ses appuis politiques nostalgiques de l’Ancien Régime. "Cette bourgeoisie lettrée a compris que la domination politique passe par une position économique de premier plan dans une colonie plantocratique", note l’historien. De sorte que la lutte décrite s’inscrit dans le cercle des élites de la colonie, partagées entre des réflexes mimétiques renvoyant aux deux camps politiques qui s’affrontent en France, à la même époque.
Ceci relativise beaucoup la "dynamique de changement" sur laquelle s’interroge ce deuxième texte. Surtout après les éclaircissements apportés sur le mouvement des Francs-Créoles, que rejoignent la plupart des propriétaires de l’Est. Ce mouvement n’entraînait avec lui qu’une petite partie des Libres, ce qui laissait bien peu de chance à cette "classe moyenne" avant la lettre (c’est presque un “anachronisme”, dans une société esclavagiste) de promouvoir un réel mouvement social de changement.
Ces deux premières contributions ont le mérite d’engager un débat historique sur la colonisation du cirque et les motivations des premiers habitants.
À lire également, une contribution généalogique de Patrick Onésime-Laude sur “Une des premières familles du Cirque de Salazie : les Cologon”, fondée par un couple de Libres ; le texte d’Amélie Ah-Koon et sa chronique de la catastrophe de novembre 1875, à Grand-Sable et enfin une étude du géographe Jean-Louis Haurie montrant "les effets de l’occupation humaine sur l’environnement à Salazie depuis le 19ème siècle".
L’ouvrage se referme sur une magnifique photo montrant les travaux de l’ONF pour restaurer les pentes érodées de Grand-Ilet, à l’aide de fascines (en bois de goyavier).
“Rasine domoun Salazi” sera en fin de semaine dans les librairies.


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