’Les Marrons’, de Louis-Timagène Houat — 1 —

28 avril 2023

Dans le cadre de cette chronique ’Nout mémwar’, nous commençons à publier un texte de Louis-Timagène Houat paru quatre ans avant l’abolition de l’esclavage à La Réunion sous le titre ’Les Marrons’. Réputé premier roman de La Réunion, ce livre avait été rédigé dans une intention précise : éclairer la population en France sur la condition des esclaves et les traitements imposés aux populations marrons de l’Empire français, telles qu’elles apparaissaient dans le Code noir.

Si L.-T. Houat, militant anti-esclavagiste, n’en a pas souffert lui-même directement, il eut néanmoins maille à partir avec les autorités politiques : il était en effet un jeune professeur de musique lorsqu’il fut arrêté, le 13 décembre 1835, pour incitation à la révolte des esclaves lors de la répression du « complot de Saint-André ». Il attendra son procès huit mois durant. Dès septembre 1836, il destina à la ’Revue des Colonies’ de Cyrille Bissette (1795-1858) une “Lettre d’un prévenu dans l’affaire de l’île Bourbon”, dans laquelle il détaillait les conditions de sa détention.

Son procès, devenu une affaire exemplaire, fut scrupuleusement suivi par la revue de Cyrille Bissette de décembre 1836 à juin 1837, date à laquelle il fut condamné à la prison à perpétuité. Peu de temps après, sa peine fut commuée en exil politique. C’est ainsi que, banni, L.-T. Houat rejoignit Cyrille Bissette à Paris où il publia en vers le récit de ses mésaventures dans ’Un proscrit de l’île de Bourbon à Paris’ (1838), et, six ans plus tard, son roman fondateur, ’Les Marrons’, un récit très rythmé inspiré de ’Bug-Jargal’ de Hugo et de ’Georges’ de Dumas, qui illustrait très nettement les conditions inhumaines imposées aux esclaves. Voici le début de ce texte.

Le soleil depuis longtemps avait quitté les bords de l’Océan des Indes, et la nuit, ordinairement si belle et si limpide, secouant ses ombres et sa fraîcheur, sous le ciel brûlant des tropiques, était nébuleuse et ne laissait poindre aucune étoile.

Le nègre venait de quitter ses longs travaux pour se blottir et se délasser un peu sur la pauvre natte en paille, unique mobilier de son ajoupa. Dans les établissements sucriers, le silence succédait à la voix rauque et terrible du commandeur ; le coq avait fait éclater au loin son premier chant nocturne : c’était le signal du repos ; et, si ce n’est un petit oiseau solitaire, le tec-tec, qui, de temps à autre, s’élançait d’une branche isolée, et, semblable à l’alouette, s’élevait à pic, en frappant tout à coup les airs de son cri sec et monotone ; rien ne se faisait plus entendre au sein de la campagne.

A cette heure, en l’année 1833, quatre individus, presque nus, sortaient d’une même habitation coloniale ; marchant sur la pointe des pieds, ils traversaient, chacun par un chemin différent, un vaste champ de cannes à sucre, qui s’étendait comme un vaste tapis vert au pied des Salazes, chaîne des plus hautes montagnes de l’île Bourbon.

(à suivre)


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