Nout mémwar

’Les Marrons’, de Louis-Timagène Houat — 11 —

15 février 2013

Dans le cadre de cette chronique ’Nout mémwar’, voici la suite du texte de Louis-Timagène Houat paru quatre ans avant l’abolition de l’esclavage à La Réunion sous le titre ’Les Marrons’. Réputé premier roman de La Réunion, ce livre avait été rédigé pour éclairer la population en France sur la condition des esclaves et les traitements imposés aux marrons de l’Empire français. Au début de son texte, l’auteur raconte comment quatre esclaves marrons malgaches quittent « l’habitation coloniale » « au pied des Salazes » pour se réfugier dans les Hauts. Durant leur parcours, ils font une pause et ils échangent des informations sur les violences dont ils ont été victimes depuis leur déportation. Après Tantacime qui appelle ses amis à se révolter face aux crimes des esclavagistes, un autre prend la parole…

Ici le Scacalave voulut répliquer ; mais, sur la remarque qu’on lui fit que la parole
revenait au Câpre, il céda aussitôt, en invitant lui-même son compagnon créole à opiner. Après un moment d’hésitation, celui-ci se mit au milieu des autres, et dit :

— En venant ici, frères, ma pensée disait : nous ne parlerons pas ; nous écouterons, nous suivrons les autres.

— À présent vous voulez entendre. Eh bien ! ma langue causera. La chose a des épines. Mais le silence de la bouche ne doit pas faire crier le cœur. Je ne dirai pas tout ce que j’ai senti, tout ce que j’ai souffert. À quoi bon, frères ? Hélas ! nous savons trop ce que c’est que la vie d’esclave ; et vous raconter nos tourments ne serait pas éteindre l’enfer ; au contraire ce serait attiser tout ce qui brûle... Allons donc de suite à l’affaire. Vous voulez la révolte ?...

— Oui ! oui !

— Eh bien ! moi aussi, frères ; car c’est trop juste à côté de notre sort. Mais vous
dirai-je ?... je crains qu’on manque... Notre frère Antacime et notre frère Scacalave ont parlé ensemble de soulèvement général... Excusez-moi, je n’ai pas confiance...

— Comment ? est-ce que tous les autres ne sont pas dans le feu comme nous ?

— Je ne dis pas non, frères, Mais vous avez dit vous-mêmes : nous ne savons pas
nous entendre et nous soutenons les maîtres. Nous pouvons donc risquer à parler complot, à faire des ensembles. Nous gagnerons, nous nous réunirons, un... deux... trois noirs ; le quatrième sera un faux frère et nous vendra...

— Nous vendre !

— Oui, nous vendra !... Et alors, quel malheur ! nous serons pris, sans avoir pu seulement bouger le doigt, détacher un brin de chaîne, et notre meilleur sang coulera.

(à suivre)


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