Nout mémwar

’Les Marrons’, de Louis-Timagène Houat — 13 —

28 février 2013

Dans cette chronique ’Nout mémwar’, voici la suite du texte de Louis-Timagène Houat paru quatre ans avant l’abolition de l’esclavage à La Réunion sous le titre ’Les Marrons’. Ce livre avait été rédigé pour éclairer la population en France sur la condition des esclaves et les traitements imposés aux marrons de l’Empire français. Au début de son texte, l’auteur raconte comment quatre esclaves marrons malgaches quittent « l’habitation coloniale » « au pied des Salazes » pour se réfugier dans les Hauts. Durant leur parcours, ils échangent des informations sur les violences dont ils ont été victimes depuis leur déportation et sur la nécessité de se révolter. Avec les perspectives ouvertes par la libération…


— Ah ! frères, ne faisons pas de bêtises ! Attendons cette bonne chose-là, qu’on appelle émancipation. Et, d’ici qu’elle arrive, puisqu’il fait trop mauvais dans l’établissement, ramassons notre petit paquet, et sauvons-nous du maître. Nous serons marrons. Nous irons vivre dans le morne des Salazes.

Là est mon grand-père depuis des années et des années. On n’a jamais pu l’attraper. Il doit être chef, et sera bien content de nous voir.

Là, nous aurons à boire et à manger à notre content et comme nous voudrons, car

il y a là, sirop, miel, arack, fraises, patates, palmistes, mangues, bananes, cabots, chevrettes, anguilles, merles, petits fouquets, poules, cochons, cabris marrons et mille et mille choses en quantité, en abondance ; et, avec tout ça, nous serons comme libres, nous ferons notre vouloir !

Qu’en dites-vous, frères ?...

— C’est bien bon ! répondit à son tour l’Amboilame, après un moment de silence

et en venant prendre la place de l’autre, mais ça n’est pas l’affaire. J’ai été marron. Je connais les Salazes. Rien à comparer. C’est divin ! Oh ! c’est beau, beau même !... Mais quel dommage ! ça n’est pas à nous !

Et, avec votre dire, frère créole, il y a autre chose encore. Il y a du bon, du doux ,

oui. Il y a du mauvais, de l’amer aussi. Car là, faut pas l’oublier, il y a les détachements, méchants petits blancs qu’on dresse pour vous chasser comme des renards, et à qui on paye tant d’argent de francs par chaque patte de nous, pauvres noirs, qu’ils abattent, …

— Tas de mauvais petits blancs !

— Ah ! c’est des gens fins, des limiers futés et lestes, allez, frères ! ça vous dépiste n’importe où, vous courre par tous les mornes, les précipices, vous traque jusque dans les plus petits coins, les plus petits trous de la terre... et gare les chiens ! gare les coups de fusils !

(à suivre)


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