Nout mémwar

’Les Marrons’, de Louis-Timagène Houat — 14 —

8 mars 2013

Dans cette chronique ’Nout mémwar’, voici la suite du texte de Louis-Timagène Houat paru quatre ans avant l’abolition de l’esclavage à La Réunion sous le titre ’Les Marrons’. Ce livre avait été rédigé pour éclairer la population en France sur la condition des esclaves et les traitements imposés aux marrons de l’Empire français. L’auteur raconte comment quatre esclaves marrons malgaches quittent « l’habitation coloniale » réunionnaise « au pied des Salazes » pour se réfugier dans les Hauts. Durant leur parcours, ils échangent des informations sur les violences dont ils ont été victimes depuis leur déportation et sur la nécessité de se révolter. Avec les risques d’affronter les chasseurs de marrons…

— Fître ! il ne fait pas bon là !... On court, mais pas comme un boulet !

— Sans doute, et faut pas plaisanter ! Faut avoir, jour et nuit, les pieds légers, l’oreille claire, et les yeux qui brillent ! Faut être un bon lièvre, un bon cerf, et pouvoir, comme un tectec ou un lézard, sauter de rocher en rocher, de cap en cap ! Autrement, frères, on vous pince ; et, si l’on vous tue pas, on vous conduit, tout garrotté en carotte de tabac, chez le maître, qui, pour accommoder la sauce, vous savez, et c’est le moins, vous fait piquer cent et cent coups de fouet sur le derrière, avec un arrosement de vinaigre, de sel et de piment, et puis, vous voilà au croc, attaché à la grosse roche de l’habitation, à moudre le maïs de la bande, pendant des mois et des mois, comme un vrai damné, au soleil, à la pluie et au vent. En voulez-vous, frères ?

— Oh ! fit l’Antacime, merci ! Toujours en crainte, toujours en alerte,... toujours en visage de la mort,... au bout du compte pris, sinon fusillé, reconduit à la chaîne, qu’on vous rive davantage !... Oh ! ça n’est pas à désirer... non, ça n’est pas

une bonne chose ; et, malheur pour malheur, tant vaut-il rester chez le maître à manger la misère !

— Eh bien ! non ! reprit l’Amboilame avec ce ton qui marque l’assurance ; car j’ai là mon idée à moi, ajouta-t-il aussitôt en se frappant le front. Nous causons beaucoup. Nous parlons comme ça même. L’un dit ci... l’autre dit ça... Farfabé, oui ; Grangousier, non. On ne sait plus quoi faire. On ne sait plus de quel côté aller. Pourtant aucun n’a l’envie de rentrer son cou dans la chaîne, personne ne veut plus repiocher dans l’esclavage... Ouvrez l’oreille, frères, et nous serons d’accord... Un, ne resterons pas chez le maître... Deux, ne serons point trahis, vendus... Trois, ne ferons point de révolte... Quatre, ne verserons pas de sang... Cinq, n’irons pas dans les Salazes... Six enfin, nous serons libres et, par dessus ça, dans notre

pays...

— Comment ! comment ! dirent tous les autres avec un étonnement tout à fait nègre.

(à suivre)


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