Nout mémwar

’Les Marrons’, de Louis-Timagène Houat — 15 —

15 mars 2013

Dans cette chronique ’Nout mémwar’, voici la suite du texte de Louis-Timagène Houat paru quatre ans avant l’abolition de l’esclavage à La Réunion sous le titre ’Les Marrons’. Ce livre avait été rédigé pour éclairer la population en France sur la condition des esclaves et les traitements imposés aux marrons de l’Empire français. L’auteur raconte comment un groupe d’esclaves marrons malgaches quitte « l’habitation coloniale » réunionnaise « au pied des Salazes » pour se réfugier dans les Hauts. Durant leur parcours, ils échangent des informations sur les violences dont ils ont été victimes depuis leur déportation et sur la nécessité de se révolter. Une des perspectives débattues est le retour au pays…

Sans doute ! reprit l’Amboilame, en tendant le bras du côté de la mer ; notre pays, grand’terre, n’est pas là donc ?

Hélas ! Oui, dit l’un d’eux ; mais le ciel n’a pas de chemin, la mer pas de fond pour notre pied...

Bah ! fit l’Amboilame ; un homme n’a pas que des pieds pour marcher ; il a des nageoires et des ailes aussi quand ça lui veut. Écoutez. Vous connaissez la Petite-Anse, et vous savez ce qu’on voit là, qui marche sur la mer ?...

Navire !

— Oui, navire... ça nous a conduits ici, ça nous ramènera là-bas ; c’est ça qui doit nous sauver... Donc, frères, j’ai choisi, dans ma tête, un joli petit bateau qu’on ait là sur le port, le soir à terre... ça a des avirons comme des nageoires, et des voiles comme des ailes ; c’est tout ce qu’il nous faut pour faire notre voyage.

Il est trop tard à présent pour commencer la partie. Nous allons rentrer. Nous passons encore la journée qui vient chez le maître. Nous ramassons par-ci par-là des petites provisions ; puis, dans la nuit même, à l’heure que tout le monde dort, nous sortons de l’atelier, nous marchons, comme aujourd’hui, doucement, doucement,... nous arrivons au petit bateau. Il n’y a personne. Vite ! nous coupons la corde, et vlan ! nous sommes à l’eau, laissant à terre l’esclavage avec ceux qui ont peur et ceux qui vendent les frères... Alors nous faisons jouer la rame.

Si le vent souffle bon, nous mettons la voile dehors... Nous filons... Nous gagnons le large... Nous filons toujours. ...Et nous voilà dans notre pays !

Oui, frères, dans notre pays même, à boire du bon lait de vache, à manger du bon riz, de bonnes bananes, à chasser avec notre flèche et notre sagaye, à courir, à danser dans la plaine, à travailler, à dormir ou non, comme ça nous dit, dans notre case, avec notre liberté, notre appartient, notre famille ! Ah ! frères, refuserez-vous ce bonheur-là ?...

(à suivre)


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