Nout mémwar

’Les Marrons’, de Louis-Timagène Houat — 16 —

22 mars 2013

Dans cette chronique ’Nout mémwar’, voici la suite du texte de Louis-Timagène Houat paru quatre ans avant l’abolition de l’esclavage à La Réunion sous le titre ’Les Marrons’. Ce livre avait été rédigé pour éclairer la population en France sur la condition des esclaves et les traitements imposés aux marrons de l’Empire français. L’auteur raconte comment un groupe d’esclaves marrons malgaches quitte « l’habitation coloniale » réunionnaise « au pied des Salazes » pour se réfugier dans les Hauts. Durant leur parcours, ils échangent des informations sur les violences dont ils ont été victimes depuis leur déportation et sur la nécessité de se révolter. Une des perspectives débattues est le retour au pays, proposé par l’un d’eux ; faut-il l’accepter… ?

— Refuser ! s’écria aussitôt le Scacalave.

— Que dites-vous donc, frères ? Comment refuser notre liberté, notre pays, notre famille !... J’ai demandé révolte et vengeance ; ma parole a crié comme le cœur : était-ce pour mentir, pour rester esclave ? Mais on dit que l’affaire est impossible. J’écoute... On veut l’aire autre chose. Je ne contrarie pas... et, même avec mon incroyance dans votre projet, frère, je cède et vous suis... Je sais que nous ne sommes pas marins. Je sais que le vent et la mer, comme les maîtres, ne connaissent pas de pitié. Mais plutôt que de rouler ici plus longtemps dans la chaîne, oui, j’aime mieux vous suivre, j’aime mieux couler au fond...

— Moi aussi ! dit l’Antacime avec transport.

— Pour moi, ajouta dolemment le Câpre, je prierai le Bon Dieu pour votre voyage, mais ne peux vous suivre,... votre pays n’est pas le mien...

— Comment ! Est-ce que vous n’êtes pas notre frère ? Chez nous, vous serez chez vous,... mieux que dans ce pays où vous êtes né esclave...

— Oh ! je sais, je vous remercie, frères... Mais le voyage n’est pas sûr,... et j’ai besoin d’aller aux Salazes voir mon grand-père...

—  Allons, comme vous voudrez, frère créole... Vous changerez peut-être d’ici demain, dit l’un des trois Madagasses, lesquels échangèrent encore quelques mots ; puis se séparèrent dans le plus profond silence.

(à suivre)


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