Nout mémwar

’Les Marrons’, de Louis-Timagène Houat — 18 —

5 avril 2013

Dans cette chronique ’Nout mémwar’, voici la suite du second chapitre (’L’habitation’) du texte de Louis-Timagène Houat paru quatre ans avant l’abolition de l’esclavage à La Réunion sous le titre ’Les Marrons’, au sujet des esclaves et des traitements imposés aux marrons dans les colonies françaises. L’auteur raconte comment un groupe d’esclaves marrons malgaches quitte « l’habitation coloniale » réunionnaise « au pied des Salazes » pour se réfugier dans les Hauts. Durant leur parcours, ils échangent des informations sur les violences dont ils ont été victimes depuis leur déportation et sur la nécessité de se révolter. Ils finissent par se séparer et le romancier nous parle de l’un d’eux et du beau paysage qui l’entoure, où « tout exprimait le bonheur dans ce paradis, excepté le malheureux nègre... ».

Hélas ! oui, lui seul ! Car cette heure, si belle et si bénie, c’est l’heure qui le désabuse d’un doux rêve de la nuit, qui retinte à son esprit toutes les rigueurs de son sort, qui lui rappelle qu’il est esclave et qu’une nouvelle journée de labeur, de fatigue et de coups l’attend !

Heure triste où sa voix s’élève au ciel, non en prière, mais en gémissements plaintifs ! Heure malheureuse où d’habitude il se tord à la flagellation du quatre-piquets ! Heure maudite enfin où le maître, après le compte-rendu de la veille, fait exécuter ses terribles châtiments comme des offrandes au lever du soleil !!!

Admirez où nous sommes.

Devant nous, et après une jolie maison de maître, laquelle fait face à une longue et belle avenue plantée d’ananas, se montre une sucrerie en pleine activité ou roulaison, et bordée de son champ de roseaux saccharifères, qui, s’en allant à perte de vue, en balançant d’innombrables tiges de fleurs en soyeux panaches, a l’air d’une armée nombreuse en bivouac entre la montagne et l’établissement.

À droite, et flanqués de magasins, de hangars et de petites cabanes, ajoupas ou paillotes de nègres s’alignent, avec symétrie et sur un vaste carré long, d’immenses files de girofliers et de muscadiers aux noix purpurines ; tandis que, séparés d’eux seulement par une haie de grands arbres des tropiques, et comme pour leur faire encadrement, suivent, d’un côté, des cacaotiers avec leurs longs fruits rouges et taillés à côtes, et, de l’autre, des touffes de cafiers où chaque arbuste paraît succomber sous la charge de ses grappes de baies.

À gauche, sont encore quelques petites paillotes adossées à des massifs de verdure ; puis les parcs, les écuries, les poulaillers ; puis les allées couvertes de lianes et de fleurs ; puis les jardins de toutes sortes, et le grand verger où passe un bras de rivière : en un mot, et pour tout dire, nous sommes dans une de ces habitations coloniales si riches et si variées d’aspects et de productions qu’on ne peut les décrire.

(à suivre)


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