Nout mémwar

’Les Marrons’, de Louis-Timagène Houat — 20 —

19 avril 2013

Dans cette chronique ’Nout mémwar’, voici la fin du second chapitre (’L’habitation’) du texte de Louis-Timagène Houat paru quatre ans avant l’abolition de l’esclavage à La Réunion sous le titre ’Les Marrons’, au sujet des esclaves et des traitements imposés aux marrons dans les colonies françaises. L’auteur raconte comment un groupe d’esclaves marrons malgaches quitte « l’habitation coloniale » réunionnaise « au pied des Salazes » pour se réfugier dans les Hauts. Certains ont des échanges au sein de l’habitation du maître, où l’un d’eux, l’Amboilame, regrette de les avoir ramenés…

À ces paroles, l’Antacime jeta un soupir... Soupir, pour répondre en ce moment, bien plus significatif que la parole.

Le Sacacalave sembla ne rien entendre. Mais, d’une voix sourde, il laissa échapper des mots entrecoupés, parmi lesquels on distinguait : sang,... cachot,... bloc,... vengeance ! Et ce dernier, suivi d’une telle exclamation, ou plutôt d’un tel rugissement, que l’Amboilame crut devoir l’interrompre, en reprenant comme pour le calmer :

- Oui, frères, j’ai eu tort.... mais qui pouvait savoir que ce mauvais régisseur remarquerait notre absence et l’apprendrait au maître ?...

Le Sacacalave parut ne pas entendre encore et répéta d’une manière plus distincte, mais de la même voix concentrée — sang,... cachot,... bloc,... vengeance, — et puis, avec l’ironie de la rage, il ajouta :

- Non ! pas de vengeance !... Toujours courber la tête et baiser les pieds des maîtres qui vous assassinent !

- Oui, ce sont des bourreaux, reprit l’Amboilame toujours avec la même intention ; mais, frères, patience un peu ; nous sortirons de leurs mains : si ce n’est pas aujourd’hui, ce sera demain,... nous aurons enfin un jour...

- Hélas ! fit alors l’Antacime avec une expression pleine de regret ; frère créole a été mieux conseillé en ne revenant pas ici !... Il n’a pas été battu !... Il n’est pas au cachot, ni au bloc !... Il est libre dans le bois !... Il est plus heureux que nous !...

— Faut pas dire ça, frère Antacime ! répondit l’Amboilame d’un ton de reproche plein de douceur. Pensez que notre frère créole est marron, et qu’il est peut-être à présent tué ou arrêté !... Nous avons été battus, nous sommes au bloc et au cachot, c’est vrai ; mais c’est affaire finie ; et pendant que ça le menace avec d’autres malheurs encore plus grands, pour nous, ça n’est plus à craindre, à recommencer ; car, une fois échappés d’ici, et c’est ce que nous allons tâcher de faire malgré tout, allez donc après nous rattraper ! Nous prenons le petit navire qui est toujours là à notre service, et nous partons...

En ce moment, un bruit de pas et de clefs, arrivant du dehors, se fit entendre, et l’Amboilame se tut... Mais en ce moment aussi, que devenait le noir créole ? Sa position était-elle plus heureuse ?...

(à suivre)


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