Nout mémwar

’Les Marrons’ de Louis-Timagène Houat — 21 —

26 avril 2013

Dans cette chronique ’Nout mémwar’, voici le début du 3ème chapitre (’Le marronage’) du texte de Louis-Timagène Houat paru quatre ans avant l’abolition de l’esclavage à La Réunion sous le titre ’Les Marrons’, au sujet des esclaves et des traitements imposés aux marrons dans les colonies françaises. L’auteur raconte comment un groupe d’esclaves marrons malgaches quitte « l’habitation coloniale » réunionnaise « au pied des Salazes » pour se réfugier dans les Hauts. Les échanges continuent sur l’organisation de la résistance…

« Il se prit aussitôt corps à corps pour ainsi dire avec cette formidable masse rocheuse… »
(photo Toniox)

Différent d’intention, comme on a pu le voir, avec ses autres camarades, le Câpre ne crut pas non plus devoir suivre la même direction qu’eux, à l’issue de la fameuse réunion du grand tamarin. Ainsi, tandis que les trois Madagasses, qui étaient tombés d’accord sur la proposition de l’Amboilame, s’en retournaient à l’établissement, avec la pensée toutefois de n’y rester qu’un jour, lui, n’ayant pas adhéré à leur projet de voyage, et prévoyant peut-être aussi la terrible réception qui les attendait à l’atelier, il gagnait la route des Salazes et se faisait aussitôt marron, suivant le vœu qu’il avait exprimé dans le conciliabule.

Du lieu où s’était tenu le conciliabule, au flanc avancé des mornes salaziens, on pouvait compter en ligne directe une distance de quatre à cinq kilomètres au plus. Ce premier trajet paraissait court. Cependant notre fugitif n’employa pas moins de deux heures pour le faire.

Ce n’est pas qu’il n’eut hâte de quitter la savane et qu’il n’y mit toute sa diligence ; l’endroit était trop peu désert pour qu’il eut l’envie de s’y attarder. Mais le chemin, qui n’allait pas droit, de tortueux devint difficile... et bientôt il n’y en eut plus. C’étaient des broussailles, des fourrés d’épines qu’il fallut traverser, puis vinrent les torrents de la colline, plus dangereux encore ; si bien que le jour commençait quand il parvint à la base effroyable des Salazes.

Il lui fallait un redoublement de force et de courage ; car la lutte était ici, comme on le sent, des plus terribles à soutenir.

Mais, quelque fatigué qu’il fut, il ne recula point devant elle, il ne s’arrêta point devant le géant. Il se prit aussitôt corps à corps pour ainsi dire avec cette formidable masse rocheuse, élevée comme une pyramide à pic, et grimpa, travaillant du ventre et des mains autant que des pieds : à l’y voir, on eût dit d’une fourmi s’escrimant sur un vaste pain de sucre, avec cette différence toutefois que pour lui la plus horrible mort était au bout de la moindre glissade ; car un peu d’herbes par ici, une petite aspérité par là, étaient ses seuls moyens d’appui, d’ascension, d’équilibre au-dessus de l’abîme...

(à suivre)


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