Nout mémwar

’Les Marrons’, de Louis-Timagène Houat — 33 —

19 juillet 2013

Dans cette chronique ’Nout mémwar’, voici la suite du 5ème chapitre (’Le négrillon’) du texte de Louis-Timagène Houat paru quatre ans avant l’abolition de l’esclavage à La Réunion sous le titre ’Les Marrons’, au sujet des esclaves et des traitements imposés aux marrons dans les colonies françaises. L’auteur raconte comment un groupe d’esclaves marrons malgaches quitte « l’habitation coloniale » réunionnaise « au pied des Salazes » pour se réfugier dans les Hauts. L’un d’eux, ’le Câpre’, laisse ses camarades dans « un établissement », échappe à des chiens de chasseurs de marrons puis rencontre dans une grotte « une jeune femme blanche (Marie) tenant dans ses bras un enfant mulâtre » et il est rejoint par « un grand jeune nègre » (Frême), qui leur raconte son parcours d’esclave dans le quartier de la Petite-Ile à Saint-Denis et notamment au collège dionysien, où il devient l’ami de la fille du directeur, dont les deux frères sont envoyés en France...

« …Frême est dans un métier, charpentier de marine, relégué dans une des cabanes de la Petite-Ile ».
(photo CF)

La petite fille resta seule, et la séparation lui fut ainsi d’autant plus sensible ; elle n’avait pas, comme ses frères, des camarades de collège pour l’égayer, la distraire, lui faire oublier le passé. Dans sa solitude, elle pensait à Frême, à

ses folies, à toutes ses prévenances pour elle.

Et celui-ci ne pouvait oublier non plus les moments si heureux où il était chez le directeur, les bontés, les caresses des enfants et surtout celles de la petite fille, dont la charmante figure, la gracieuse image ne l’avait pas quitté. Elle était toujours devant lui, à sa vue, à son cœur, se mêlait à tous ses travaux, à toutes ses pensées, l’occupait, l’appelait, lui souriait sans cesse.

Oh ! que n’aurait-il pas donné au monde pour le droit de rester toute la vie à ses

pieds, esclave ! Au moins il l’amuserait, il l’égayerait, il la garderait, il la suivrait partout comme son chien fidèle !... Il la porterait dans les mauvais chemins, il la garantirait des faux pas, des cailloux, des épines !... Maintenant elle peut s’ennuyer, tomber, se blesser, se faire du mal car il n’est pas là pour jouer, pour veiller, pour servir près d’elle !...

Et quel espoir Frême a-t-il de retrouver cet esclavage, ce bonheur de la choyer, de lui faire plaisir ? Il est dans un métier, charpentier de marine, relégué dans une des cabanes de la Petite-Ile ! C’en est fait, il ne peut, il ne pourra jamais plus s’approcher d’elle, de la bonne petite maîtresse blanche !...

Son cœur était toujours gros d’idées semblables ; et quand le soir, après son travail, il revenait à sa paillote, regardant la maison du directeur, ses yeux se remplissaient de larmes....

(à suivre)


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