Nout mémwar

’Les Marrons’, de Louis-Timagène Houat — 37 —

16 août 2013

Dans cette chronique ’Nout mémwar’, voici la suite du 6ème chapitre (’La jeune blanche’) du texte de Louis-Timagène Houat paru quatre ans avant l’abolition de l’esclavage à La Réunion sous le titre ’Les Marrons’, au sujet des esclaves et des traitements imposés aux marrons dans les colonies françaises. L’auteur raconte comment un groupe d’esclaves marrons malgaches quitte « l’habitation coloniale » réunionnaise « au pied des Salazes » pour se réfugier dans les Hauts. L’un d’eux, ’le Câpre’, laisse ses camarades dans « un établissement », échappe à des chiens de chasseurs de marrons puis rencontre dans une grotte « une jeune femme blanche (Marie) tenant dans ses bras un enfant mulâtre » et il est rejoint par « un grand jeune nègre » (Frême), qui leur raconte son parcours d’esclave dans le quartier de la Petite Ile à Saint-Denis et notamment au collège dionysien, où il devient l’ami de la fille du directeur mais leur vie les sépare ; vers la vingtaine, il est surpris par un incendie dans cette école et il se précipite pour sauver les victimes, dont sa jeune amie...

Les cloches de l’endroit sonnaient ; et, de toutes parts, on s’éveillait, on criait, on courait au feu. Quelqu’un, en passant, frappa à la porte de Frême, comme pour l’appeler. Celui-ci resta muet. Il n’y avait d’ailleurs aucun secours à porter à la maison. Elle n’était plus qu’un vaste brasier, et l’on pensa, ne les voyant pas, que le directeur et les siens y avaient péri.

Comme les pétales d’une fleur pâlie qui renaît sous la rosée, bientôt les paupières aux longs cils de la jeune fille palpitèrent, s’entrouvrirent et laissèrent voir la limpidité de ses beaux yeux d’un bleu de saphir. Frême était au comble de ses émotions et ne se contenait plus de bonheur, en même temps qu’il tressaillait d’appréhension, redoutant le moment si dangereux encore de la reconnaissance.

En le voyant dans la singulière position qu’il avait prise, la jeune blanche crut à un rêve. Elle se frotta les yeux, les ouvrit plus grands : — Bon Dieu ! où suis-je ? murmura-t-elle d’une voix faible, plaintive, en roulant des regards inquiets autour d’elle.... Et Frême était tout en transe ; il n’osait répondre. Il balbutia cependant quelques mots sur l’événement et quelques paroles pour la calmer....

Elle le regarda fixement, fit un mouvement brusque pour se lever. Mais les forces lui manquèrent, elle retomba sur sa natte, en se repliant sur elle-même, comme une feuille de sensitive qu’on a touchée.... Elle fondait en larmes...

À quelques années de là, on vit, au fond d’une espèce de chapelle, au Bernica, dans la charmante commune de Saint-Paul, un vieux blanc, à l’air vénérable, au costume pauvre, sévère, apostolique, élever ses mains en signe de bénédiction sur un jeune couple, et il les élevait en unissant dans une même prière les noms de Frême et de Marie !

(à suivre)


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus