Nout mémwar

’Les Marrons’, de Louis-Timagène Houat — 41 —

13 septembre 2013

Dans cette chronique ’Nout mémwar’, voici le début du 8ème chapitre (’Le vieux nègre’) du texte de Louis-Timagène Houat paru quatre ans avant l’abolition de l’esclavage à La Réunion sous le titre ’Les Marrons’, au sujet des esclaves et des traitements imposés aux marrons dans les colonies françaises. L’auteur raconte comment un groupe d’esclaves marrons malgaches quitte leur « habitation coloniale » réunionnaise « au pied des Salazes » pour se réfugier dans les Hauts. L’un d’eux, ’le Câpre’, échappe à des chasseurs de marrons puis rencontre dans une grotte « une jeune femme blanche (Marie) tenant dans ses bras un enfant mulâtre » et il est rejoint par « un grand jeune nègre » (Frême), qui lui raconte son parcours d’esclave à Saint-Denis, où il devint l’ami de la fille du directeur de son collège, Marie, qu’il épouse à Saint-Paul. Victimes d’injures racistes et de menaces, le couple fuit dans les Hauts, suivi par une autre « victime du système et des préjugés coloniaux »...

Les Hauts de La Réunion, lieu de refuge des esclaves marrons.

La personne qui suivait — à la dérobée — Frême et Marie n’était autre qu’un vieux nègre, qui les avait remarqués presque à leur arrivée dans la forêt. Mais ce vieux nègre était marron, défiant par besoin ; et la présence étrange d’une blanche avec un noir en ce lieu lui ayant inspiré tout d’abord quelques soupçons, il se mit à épier leurs pas et leurs allures, afin d’éclaircir ses doutes et savoir ce qu’ils voulaient, ce qu’ils étaient. Or, les voyant aller à l’aventure, marcher sans but offensif, ni direction certaine, et, tels que des fugitifs, hésiter, craindre, se cacher au moindre bruit, enfin défaillir de fatigue et de besoins, il les trouva plus dignes de compassion que de crainte ; et, revenant de sa défiance, il se décida à les aborder.

Frême et Marie étaient occupés, dans une petite clairière, au milieu du bois, à cueillir quelques plantes légumineuses qu’ils mangeaient crues. Le vieillard, ne pouvant plus se contraindre, sortit d’un fourré voisin et s’approcha d’eux tranquillement.

—  Que faites-vous là, mes enfants ? leur dit-il avec douceur.

Tout saisi, le couple malheureux et proscrit ne put répondre. Il regarda le vieux nègre d’un air de stupéfaction indicible... Celui-ci continua :

—  Vous avez tort de manger de ces herbes ; car c’est mauvais, cela vous fera mal, mes enfants... vous avez faim... vous avez besoin de vous reposer... je n’ai pas grand-chose à vous offrir... Mais, si vous voulez me suivre, vous pourrez vous remettre un peu...

Frême et Marie n’en revenaient pas. Ils se consultaient des yeux comme deux personnes cherchant à démêler un mystère.

—  Eh ! bien, vous ne voulez donc pas me faire plaisir ? dit le vieillard ; — vous ne voulez pas me suivre ?

—  Oh ! n’importe, vous grand-père, vous êtes bien bon ! répondit Frême, avec toute l’effusion de la reconnaissance ; et, prenant la main de Marie, il ajouta d’une voix émue : nous ne pouvons pas vous refuser... nous vous suivons... Il y a cinq jours que nous sommes sans abri, allant d’un côté, de l’autre... marrons...

(à suivre)


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