’Les Marrons’, de Louis-Timagène Houat — 44 —

4 octobre 2013

Dans cette chronique ’Nout mémwar’, voici la suite du 8ème chapitre (’Le vieux nègre’) du texte de Louis-Timagène Houat paru quatre ans avant l’abolition de l’esclavage à La Réunion sous le titre ’Les Marrons’, au sujet des esclaves et des traitements imposés aux marrons dans les colonies françaises. L’auteur raconte comment un membre d’un groupe d’esclaves marrons, ’le Câpre’, échappe aux chiens des chasseurs de marrons puis rencontre dans une grotte « une jeune femme blanche (Marie) tenant dans ses bras un enfant mulâtre », où il est rejoint par « un grand jeune nègre » (Frême) ; cet esclave de Saint-Denis a épousé à Saint-Paul la fille du directeur de son collège, Marie ; victimes d’injures racistes et de menaces, ils fuient dans les Hauts, suivis par une autre « victime du système et des préjugés coloniaux », un vieillard, ancien militaire en France, avec qui ils partent « marrons »...

— Où allons-nous, dit Marie toute tremblante. Il n’y a plus de passage ! Nous voilà dans le précipice !
Le vieux nègre se courba au bord du vide, tira une corde, et une espèce de pont suspendu s’éleva d’un cap à l’autre !
— Voilà où nous allons ! dit-il, en montrant le rocher opposé ; et il désignait ce même rocher placé dans la montagne en forme de balcon, de terrasse inaccessible, où le Câpre, assailli par des chiens féroces, tomba si miraculeusement.
— N’ayez pas peur, mes enfants ; là, vous serez à l’abri, ajouta-t-il ; ni la faim, ni les chasseurs, ni le blanc, ni le mauvais temps, rien, personne ne viendra vous tourmenter, soyez en sûrs ; et d’ailleurs, ce n’est pas pour rien que je vous appelle mes enfants ; je vous garderai, moi, je vous soignerai jusqu’à la fin, comme un bon père...
Et en effet, le vieux nègre, après avoir établi Frême et Marie dans sa caverne, ne les abandonna pas. Son amitié, sa sollicitude furent sans bornes. Il était leur esclave, leur Providence ; il pourvoyait à leurs besoins, de même qu’à leur sécurité : le jour, il allait courir la forêt, les précipices, chasser, butiner, faire leurs provisions ; le soir, il venait coucher à l’entrée de leur asile, tel qu’un vieux chien de garde ; il les distrayait de ses anecdotes de France, de batailles et de marrons, et les instruisait de son expérience et de ses conseils ; bien souvent, Frême l’accompagnait dans ses excursions, et il le façonnait aux exigences du marronnage : il lui apprenait à courir, à grimper dans la montagne et dans les bois, à éviter, à tromper les chiens et les détachements, à se servir de l’arc et de la fronde, à prendre les oiseaux, les bêtes sauvages, à trouver les gisements de l’eau, du miel, des fruits, des plantes, des racines, enfin, de toute chose ainsi nécessaire ; et l’instituteur sexagénaire, près de son élève si vigoureux et si souple, se montrait encore d’une adresse, d’une agilité, d’une vigueur surprenante ; et, sans les cheveux cotonneux et blancs, comme l’écume de la mer, qui surmontaient son front d’un noir de jais, on l’eût pris pour un homme jeune, plein de force, de santé, de longs jours à vivre. Mais, dans une de ses courses périlleuses, il s’était enfoncé au pied une grosse épine de raquette. Il n’y porta malheureusement aucun soin, aucune attention, malgré toutes les prières, les instances possibles ; et l’humidité des lieux s’ingérant comme un poison dans la piqûre, le tétanos impitoyable vint bientôt le surprendre et l’enlever à ses enfants d’adoption...

(à suivre)


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