Nout mémwar

’Les Marrons’, de Louis-Timagène Houat — 48 —

3 novembre 2013

Dans cette chronique ’Nout mémwar’, voici la fin du 9ème chapitre (’L’embuscade’) du texte de Louis-Timagène Houat paru quatre ans avant l’abolition de l’esclavage à La Réunion sous le titre ’Les Marrons’, au sujet des esclaves et des traitements imposés aux marrons dans les colonies françaises. L’auteur raconte comment un membre d’un groupe d’esclaves marrons, ’le Câpre’, échappe aux chiens des chasseurs de marrons puis rencontre dans une grotte un jeune couple de marrons, « une jeune femme blanche (Marie) tenant dans ses bras un enfant mulâtre » et « un grand jeune nègre » (Frême) ; ce couple avait suivi un vieil esclave qui est décédé d’un tétanos et ’le Câpre’ leur dit qu’il doit rejoindre son grand-père... Frême l’accompagne, mais ils sont repérés par des chasseurs de marrons avec leurs chiens. Et Frême est tué par un coup de carabine…

Et le Câpre et l’autre chasseur, qui s’embarrassaient mutuellement de leur côté, n’avaient pu prendre part à cette lutte terrible, d’ailleurs si prompte qu’elle dut passer presque inaperçue.

Cependant, à la chute des deux corps, ils accoururent, quoique accrochés aussi l’un à l’autre, pour tâcher de les dégager, de les secourir.

—  Oh ! bon Dieu, quel malheur ! s’écria le Câpre. Il est mort !...

Rendant du sang par une large blessure au côté gauche, le corps de Frême, qui se trouvait sur l’autre, était tout raide et contracté ; mais il tenait encore étroitement serrés le bras armé du poignard et le col du chasseur, dont la bouche entrouverte, la langue bleuâtre, ensanglantée, pendante, et les yeux injectés, gonflés, tout ternes, sortis de leurs orbites, offraient les caractères d’une affreuse strangulation.

On tourna et retourna le triste groupe sans pouvoir arracher les mains de Frême d’où elles s’étaient fixées. Du reste, ainsi que son adversaire, il ne donnait plus aucun signe de vie.

—  Oh ! bon Dieu ! quel malheur ! Il est mort !... Et sa pauvre femme !

— Voyons ! voyons ! vas-tu bien finir ! répliqua durement le chasseur en secouant le Câpre, qui était agenouillé pleurant sur le corps de Frême.

— Jusqu’où vas-tu le plaindre, vilain magot ? Il a tué mon camarade, contente-toi de ce qu’à mon tour je ne te tue pas.... Mais... si tu m’impatientes... tu verras bientôt l’affaire... Hein ! Et avec ça que tu me gênes pour lui couper les pattes à ce tigre-là, à ce mauvais sujet de nègre... Allons ! sors de tes grimaces ; en avant et marche ! Ou sans quoi, gare à ta peau, que j’ai bien envie de tanner, pour t’apprendre à le plaindre et à venir faire le libre ici...

À la suite de cette terrible injonction, il fallut bien quitter le lieu ; mais le Câpre, en s’en allant devant le chasseur, répétait encore avec un profond désespoir :

— Oh ! bon Dieu ! quel malheur !... Il est mort !... et j’en suis la cause !

(à suivre)


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