Nout mémwar

’Les Marrons’, de Louis-Timagène Houat — 49 —

8 novembre 2013

Dans cette chronique ’Nout mémwar’, voici le début du 10ème chapitre (’La capture’) du texte de Louis-Timagène Houat paru quatre ans avant l’abolition de l’esclavage à La Réunion sous le titre ’Les Marrons’, au sujet des esclaves et des traitements imposés aux marrons dans les colonies françaises. L’auteur raconte comment un membre d’un groupe d’esclaves marrons, ’le Câpre’, échappe aux chiens des chasseurs de marrons puis rencontre dans une grotte un jeune couple de marrons, « une jeune femme blanche (Marie) tenant dans ses bras un enfant mulâtre » et « un grand jeune nègre » (Frême) ; ce couple avait suivi un vieil esclave qui est décédé d’un tétanos et ’le Câpre’ leur dit qu’il doit rejoindre son grand-père... Frême l’accompagne, mais ils sont repérés par des chasseurs de marrons avec leurs chiens. Et Frême est tué par un coup de carabine. Un drame terrible pour ’le Câpre’…

Il pouvait être, d’après la position du soleil, cinq heures et demie du soir, quand le Câpre et le chasseur quittèrent le lieu de la scène. Rudement mené par son impitoyable capteur, le malheureux marron était obligé d’aller vite.

On avait pris la route la meilleure et la plus courte, il est vrai, pour descendre et sortir des mornes. Mais, rompu par les fatigues et toutes les émotions de la journée, il succombait sur ses jambes ; et, n’en pouvant plus, rendu au pied des Salazes, il demanda par grâce à se reposer un peu ; il reçut une poussée brusque avec ces paroles :

—  En route ! mauvais lapin !... Tu prendras tes aises dans le terrier de ton maître ; mais pas dans mes griffes... Eh ! à propos, où demeure-t-il ton maître ?

Le Câpre garda le silence.

—  Dis donc ! veux tu répondre ? Ah ! tu fais la sourde oreille ! Eh bien ! je vais te conduire tout droit à la police... et tu auras double ration...

Cette menace, faite autant dans l’intérêt du capteur que du marron — puisqu’à la police, pour l’un, le prix de la capture allait être moindre, et, pour l’autre, le châtiment double, étant à recommencer chez le maître — finit par produire son effet sur l’esprit du Câpre, qui répondit à la demande réitérée du chasseur :

—  Sainte-Suzanne.

—  Son nom ?

—  Zézé Delinpotant.

—  Ah ! ben ! ton carri ne sera pas mal assaisonné, mon garçon ! Tu peux t’en flatter ; car je connais ton maître ; et, s’il y a de l’impotent dans la famille, il n’y a bigre pas de manchot !

—  Pour mal faire...

—  Viens ! Tu appelles ça mal faire, d’étriller des gars comme toi !...

—  C’est bien pour vous, ça fait des marrons, vous avez de l’argent au bout...

—  Ah ça ! Est-ce que tu raisonnes par hasard ? Attends ! je vais te donner tout à l’heure de l’argent sur ton dos, chien de nègre ! Allons, double le pas ! File ! Et rondement !... Plutôt de faire le farceur, vilain crapaud, songe à la danse que tu vas recevoir !

 

(à suivre)

 


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