Nout mémwar

’Les Marrons’, de Louis-Timagène Houat — 50 —

15 novembre 2013

Dans cette chronique ’Nout mémwar’, voici la suite du 10ème chapitre (’La capture’) du texte de Louis-Timagène Houat paru quatre ans avant l’abolition de l’esclavage à La Réunion sous le titre ’Les Marrons’, au sujet des esclaves et des traitements imposés aux marrons dans les colonies françaises. L’auteur raconte comment un membre d’un groupe d’esclaves marrons, ’le Câpre’, échappe aux chiens des chasseurs de marrons puis rencontre dans une grotte un jeune couple de marrons, « une jeune femme blanche (Marie) tenant dans ses bras un enfant mulâtre » et « un grand jeune nègre » (Frême) ; ce couple avait suivi un vieil esclave qui est décédé d’un tétanos et ’le Câpre’ leur dit qu’il doit rejoindre son grand-père... Frême l’accompagne, mais ils sont repérés par des chasseurs de marrons avec leurs chiens. Et Frême est tué par un coup de carabine. Un drame terrible pour ’le Câpre’, que le chasseur oblige aussitôt à rejoindre son maître, Zézé Delinpotant, à Sainte-Suzanne…

Ainsi poussé, en face d’une si triste perspective, le Câpre s’en allait comme un criminel qu’on pousse à la mort. Il avait les pieds nus, tout ensanglantés, il pouvait à peine les porter l’un devant l’autre ; il faisait des efforts inouïs pour marcher, et chaque pas était un supplice affreux.

Enfin, après sept heures d’une telle horrible marche, il arriva avec son capteur à Sainte-Suzanne, et vers une heure du matin, à l’habitation Zézé Delinpotant déjà décrite.

Ils y entrèrent par la grande allée. Le maître était absent. On alla au commandeur, puis au régisseur, et celui-ci dormait de même qu’on avait trouvé l’autre. On frappa à sa porte...

—  Qu’est-ce que c’est ?

—  On vous ramène un lièvre !

—  Bon ! Bon ! Attendez...

Le régisseur, qui était un homme grand, blême et maigre, avec de petits yeux enfoncés, de longs cheveux plats tirant sur le gris fauve et tombant en filasse sur les pommettes nuancées et pointues de ses joues creuses, sortit peu après, et, voyant le Câpre :

—  Ah ! c’est vous, Monsieur ! lui dit-il d’un ton goguenard et en le secouant par l’épaule. Eh bien, vous avez fini votre promenade !... Mais c’est tout de même un peu vexant, n’est-ce pas ? Vouloir prendre l’air, et se trouver aussitôt les ailes empaillées, sans compter ce qui vous attend en cage !...

Changeant de ton :

—  Triste oiseau ! vilain garnement ! tu me payeras cela ! je te donnerai de la promenade, pour te laisser attraper, et nous faire dépenser plus que tu ne vaux !...

(à suivre)


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