Nout mémwar

’Les Marrons’, de Louis-Timagène Houat — 52 —

29 novembre 2013

Dans cette chronique ’Nout mémwar’, voici la suite du 10ème chapitre (’La capture’) du texte de Louis-Timagène Houat paru quatre ans avant l’abolition de l’esclavage à La Réunion sous le titre ’Les Marrons’, au sujet des esclaves et des traitements imposés aux marrons dans les colonies françaises. L’auteur raconte comment un membre d’un groupe d’esclaves marrons, ’le Câpre’, échappe aux chiens des chasseurs de marrons puis rencontre dans une grotte un jeune couple de marrons, « une jeune femme blanche (Marie) tenant dans ses bras un enfant mulâtre » et « un grand jeune nègre » (Frême) ; ’le Câpre’ leur dit qu’il doit rejoindre son grand-père. Frême l’accompagne, mais ils sont repérés par des chasseurs de marrons avec leurs chiens et Frême est tué par un coup de carabine. Un chasseur ramène aussitôt ’le Câpre’ chez son maître, Zézé Delinpotant, à Sainte-Suzanne ; celui-ci les reçoit et il insulte violemment le marron, puis demande à son commandeur de mettre l’esclave rebelle en geôle…

—  Bien ! Monsieur ! répondit l’exécuteur, en s’emparant du pauvre Câpre et en le conduisant à l’infernal cachot.

Oui, c’est cela aux colonies. L’arbitraire du commis sur le point des châtiments, s’il n’est pire, ne le cède en rien à celui du maître.

En l’absence de celui-ci, l’autre coupe, tranche dans la malheureuse gent esclave, comme dans un chiffon à charpies. Il invente des tourments, il augmente les peines, il renchérit sur tous les sévices jusqu’à la mort inclusivement.

Et, en cela, le régisseur de l’habitation Zézé Delinpotant n’était pas le moins cruel, car, outre ses appétits féroces, il avait à contenter le patron, qui, pour ses esclaves, ainsi qu’on a pu le voir par l’allusion grotesque du chasseur, était d’une inhumanité, d’une barbarie proverbiale. Aussi, depuis le régisseur, jusqu’au dernier des chefs de bandes de cette habitation, ce n’était à dire vrai qu’une hiérarchie d’impitoyables bourreaux !

—  Tu veux donc faire le blanc, mauvais noir ! dit au Câpre celui qui le conduisait.

—  Qui t’a fait voler la journée du maître et t’en aller d’ici ?... Tu ne parles pas ?... Mais c’est moi qui vais t’arranger... Ah ! nous allons voir un peu si tu auras l’envie encore de refaire ton blanc !...

—  Blanc de quoi ? finit par répondre le pauvre diable impatienté de tant d’ignominies. Vous n’êtes pas plus blanc que moi, et vous faites plus que le maître ; vous n’êtes bon que pour remettre toujours du sel, au lieu d’avoir pitié...

—  Pitié de qui ? Des animaux comme toi ! On a pitié à grands coups de rotin !...

—  Eh bien ! si l’on n’a pas pitié, pourquoi l’on ne tue pas tout de suite, plutôt que de faire souffrir à petit feu...

—  Tiens ! parce que ça plaît ! et, après tout, si l’on te tue, ce ne sera jamais qu’un failli nègre à remplacer, comme le vieux mulet qui crève au manège... Mais ce sera fini pour moi, et de l’argent à dépenser pour le maître !...

(à suivre)


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