Nout mémwar

’Les Marrons’, de Louis-Timagène Houat — 56 —

27 décembre 2013

Dans cette chronique ’Nout mémwar’, voici la fin du 11ème chapitre (’Les rêves’) du texte de Louis-Timagène Houat paru quatre ans avant l’abolition de l’esclavage à La Réunion sous le titre ’Les Marrons’, au sujet des esclaves et des traitements imposés aux marrons dans les colonies françaises. L’auteur raconte comment un membre d’un groupe d’esclaves marrons, ’le Câpre’, échappe aux chiens des chasseurs de marrons puis rencontre dans une grotte un jeune couple de marrons, « une jeune femme blanche (Marie) tenant dans ses bras un enfant mulâtre » et « un grand jeune nègre » (Frême) ; ’le Câpre’ leur dit qu’il doit rejoindre son grand-père. Frême l’accompagne mais ils sont repérés par des chasseurs de marrons avec leurs chiens et Frême est tué par un coup de carabine. Un chasseur ramène aussitôt ’le Câpre’ chez son maître, Zézé Delinpotant, à Sainte-Suzanne ; celui-ci demande à son commandeur de mettre l’esclave rebelle en geôle. Enfermé, il s’endort, rêve, se sent accusé d’être coupable de ces tragédies et à son réveil il a du mal à se consoler. Brusquement, il aperçoit Frême sur un des pics salaziens, avec Marie et leur enfant. Réalité ou rêve… ?

En même temps une voix se fit entendre ; et cette voix, qui semblait venir du ciel, dit des paroles que le Câpre ne put comprendre, sur ce changement, cette unité de couleur, le sort, l’avenir des diverses races coloniales. Et la femme disparut avec l’enfant comme Frême.

En disparaissant, elle laissa échapper une goutte de lait de son sein maternel. Et cette goutte de lait tomba et s’étendit sur tout le lac de sang, qui aussitôt changea de consistance, de teinte et de forme ; il devint un sol couvert d’arbres et d’animaux, un pays accidenté, riche et fertile, pays où il n’y avait plus aucune différence de couleur ni de conditions parmi les habitants, où tous ils étaient libres ; où, loin de chercher à se faire la guerre, à s’esclaver, à s’entre-détruire, ils paraissaient au contraire heureux de se rencontrer, heureux de se voir égaux, de s’aimer, de s’unir et de s’entr’aider.

Et le Câpre lui-même aussi avait changé. Il se voyait dans ce délicieux pays. Il était l’un de ces paisibles habitants. Mais, hélas ! tandis qu’il jouissait ainsi de la bienheureuse transformation de tout son être et du bonheur général, la voix du commandeur se fit entendre, et, l’éveillant, vint le replonger dans la plus triste réalité !

Il fut retiré de ses chaînes et conduit devant le régisseur ; car l’heure terrible était arrivée, cette heure où nous avons vu la veille exposés sur la plate-forme et se tordre au quatre-piquets les trois autres malheureux dont nous allons maintenant nous occuper.

(à suivre)


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