Nout mémwar

’Les Marrons’, de Louis-Timagène Houat — 58 —

10 janvier 2014

Dans cette chronique ’Nout mémwar’, voici la suite du 12ème chapitre (’L’évasion’) du texte de Louis-Timagène Houat paru quatre ans avant l’abolition de l’esclavage à La Réunion sous le titre ’Les Marrons’, au sujet des esclaves et des traitements imposés aux marrons dans les colonies françaises. L’auteur raconte comment un membre d’un groupe d’esclaves marrons, ’le Câpre’, échappe aux chasseurs de marrons puis rencontre dans une grotte un jeune couple de marrons, « une jeune femme blanche (Marie) tenant dans ses bras un enfant mulâtre » et « un grand jeune nègre » (Frême) ; ’le Câpre’ leur dit qu’il doit rejoindre son grand-père. Frême l’accompagne mais ils sont repérés par des chasseurs de marrons avec leurs chiens et Frême est tué par un coup de carabine. Un chasseur ramène aussitôt ’le Câpre’ chez son maître, Zézé Delinpotant, à Sainte-Suzanne ; celui-ci demande à son commandeur de mettre l’esclave rebelle en geôle avant de le conduire « devant le régisseur » ; ensuite, l’auteur évoque « les trois autres malheureux Madagasses » emprisonnés et amarrés par des pièces de fer, dont leur ami Antacime essaie de les libérer…

— Mais voilà ce qui gâte... j’ai un pied plus gros que l’autre, à ce qu’il semble, et ça serre... ça n’arrive pas vite... Il faut se disloquer... C’est un badinage qui n’est pas doux,... qui n’est pas facile...

— Allez toujours, frère ; vous avez fait un ; vous ferez bien deux.

— Oui,... mais,... ce vilain pied... n’est pas de même calibre que l’autre... Ouf ! ... c’est tout de même étonnant... c’est beaucoup plus gros,... ça n’est pas si souple... et ça tient dur... Pourvu qu’on ne m’attrape pas ainsi avec une jambe hors du piège et l’autre dedans !

— Non, non, frère, tâchez encore un peu !

— Beaucoup plutôt !... Mais c’est égal, et quitte à casser, à démonter, il faut que ça vienne.... Hôé ! Hein ! Hôlà ! Ouf !...

— Eh bien ! ça vient-il ?

— Voilà, je crois... voilà !... Iibre !... C’est sorti !

— C’est sorti !

— Oui, mais ce n’est pas sans peine... la cheville est un peu endommagée... c’est égal... maintenant pour vous, frères...

Et ce disant, l’Antacime alla, tout en boîtant, au cadenas du bout, qui se lève et s’abaisse à la façon de certaines barrières. Il fit tant, qu’il le rompit et délivra, ainsi qu’il l’avait dit, ses deux autres compagnons.

Mais ce n’était pas tout ; il fallait sortir du cachot, puis de l’habitation, et des indices non équivoques annonçaient qu’on ne dormait pas encore dans l’établissement ; on pouvait à tout moment venir les visiter, les surprendre, et ils étaient dans une anxiété extrême. Enfin tout bruit cessa au dehors ; ils se mirent en devoir de forcer les portes et d’évacuer les lieux ; ce qu’ils firent avec une adresse, une précaution qui leur valut un plein succès, et en emportant avec eux quelques ustensiles du cachot, tels qu’un bidon de bois et des vases de coco, ainsi qu’une provision de manioc et de cannes à sucre qu’ils prirent sur l’habitation.

(à suivre)


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