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par le Dr Raymond Vergès

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’Les Marrons’, de Louis-Timagène Houat — 6 —

Nout mémwar

vendredi 11 janvier 2013


Dans le cadre de cette chronique ’Nout mémwar’, voici la suite du texte de Louis-Timagène Houat paru quatre ans avant l’abolition de l’esclavage à La Réunion sous le titre ’Les Marrons’. Réputé premier roman de La Réunion, ce livre avait été rédigé pour éclairer la population en France sur la condition des esclaves et les traitements imposés aux marrons de l’Empire français. Au début de son texte, l’auteur raconte comment quatre esclaves marrons malgaches quittent « l’habitation coloniale » « au pied des Salazes » pour se réfugier dans les Hauts. Durant leur parcours, ils font une pause et l’un d’eux, « le Sacalave », soutenu par ses amis, exprime la cause de sa révolte, rappelant notamment les violences dont sont victimes les esclaves « de bonne heure, au poteau du grand bazar, exposés nus, fouettés jusqu’au sang… ».


— On nous reproche aussi notre gourmandise !... Quelle est-elle ? Et qu’est-ce qu’on nous donne à manger ?

Un morceau de manioc !... Encore on nous le jette comme à des pourceaux ! Frères, n’est-ce pas seulement pour nous empêcher de mourir ?...

Et quand, poussés par la faim, nous sommes surpris cueillant, par hasard, un faible épi de ce mais, pourtant planté par nous, arrosé de nos sueurs, y a-t-il d’assez horribles tourments pour nous ?

Si l’on ne nous tue pas, après nous avoir exténués de coups, on nous tord les membres, on nous lie, on nous sangle les deux pouces avec de la ficelle qu’on mouille, et l’on nous suspend ainsi durant des heures et des heures à l’un des arbres de l’habitation.

Puis on nous rive au cou d’énormes cercles de fer à branches, on nous enserre la tête ou les pieds entre deux poutres, au bloc ou courbari ; enfin, ne va-t-on pas, pour nous empêcher de manger le fruit qui tombe de sa branche, jusqu’à nous placer un bâillon à la bouche, jusqu’à nous arracher les dents ?...

Assez, frères, assez d’être esclaves ! Il est temps d’avoir notre cœur ! Il est temps de secouer la chaîne, de nous venger en hommes ! À la révolte ! C’est notre cri, notre dernier travail ! À la révolte !

Parcourons les ateliers ! Soulevons-les tous à la fois ! Éclatons comme un ouragan sur l’île !

Oui, vengeons-nous ! Incendions ces champs tout fertilisés de nos douleurs ! Abattons ces demeures enrichies de notre esclavage ! Que leurs débris couvrent la terre, et que cette terre imbibée de nos sueurs soit engraissée par le sang de ceux qui nous tourmentent !...

(à suivre)


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