Nout mémwar

’Les Marrons’, de Louis-Timagène Houat — 60 —

24 janvier 2014

Dans cette chronique ’Nout mémwar’, voici la fin du 12ème chapitre (’L’évasion’) du texte de Louis-Timagène Houat paru quatre ans avant l’abolition de l’esclavage à La Réunion sous le titre ’Les Marrons’, au sujet des esclaves et des traitements imposés aux marrons dans les colonies françaises. L’auteur raconte comment un membre d’un groupe d’esclaves marrons, ’le Câpre’, échappe aux chasseurs de marrons puis rencontre dans une grotte un jeune couple de marrons, « une jeune femme blanche (Marie) tenant dans ses bras un enfant mulâtre » et « un grand jeune nègre » (Frême) ; ’le Câpre’ leur dit qu’il doit rejoindre son grand-père. Frême l’accompagne mais ils sont repérés par des chasseurs de marrons avec leurs chiens et Frême est tué par un coup de carabine. Un chasseur ramène aussitôt ’le Câpre’ chez son maître, Zézé Delinpotant, à Sainte-Suzanne ; celui-ci demande à son commandeur de mettre l’esclave rebelle en geôle avant de le conduire « devant le régisseur » ; au même moment, « trois autres malheureux Madagasses » sont emprisonnés et amarrés par des pièces de fer dans un cachot, dont leur ami Antacime réussit à les libérer et ils s’enfuient. Une dizaine de jours plus tard, « une frêle embarcation se brisa sur un des récifs de la Pointe des Galets, à Saint-Paul » avec trois « individus » à bord, qui se retrouvent « presque mourants à terre » ; « et, comme ils étaient noirs, on les arrêta, on les interrogea. Ils répondirent d’une manière évasive… ».

On les prit pour des nègres évadés de l’île de France ou Maurice, et on les mit à la disposition du procureur du roi. Mais, conduits à Saint-Denis, ils s’expliquèrent et furent bientôt reconnus pour nos trois fugitifs, qui, dès même leur sortie du rivage, avaient failli chavirer.

L’embarcation prise par eux n’était pas celle qu’avait lorgnée l’Amboilame ; ne l’ayant pas trouvée, force leur fut de s’emparer de la première qu’ils virent inoccupée, et c’était une mauvaise petite barque non pontée.
Aussi quand il fallut traverser les lames qui se forment et déferlent à la rive, ils furent mouillés jusqu’aux os et leur pirogue se remplit à couler bas. Cependant ils la vidèrent et gagnèrent le large.

La mer était belle : ils firent du chemin, ils perdirent de vue la terre de leur esclavage ; et, joyeux, ils chantaient des chansons de leur pays, pensant bientôt le revoir. Mais ils n’avaient rien pour guider leur marche.
Ils croyaient aller droit sur Madagascar, ils ne faisaient que tourner autour de la colonie qu’ils voulaient fuir ; et ils n’avaient de vivres que pour fort peu de jours.
La faim et la soif ne tardèrent pas à se faire sentir, de même que les mauvais temps. Faibles, harassés de fatigues, assaillis par les bourrasques, ils furent poussés vers la terre.
En la voyant, ils sautèrent de joie. Les malheureux croyaient toucher à leur pays, tandis qu’ils retombaient sur le sol maudit.

 (à suivre) 


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