Nout mémwar

’Les Marrons’, de Louis-Timagène Houat — 62 —

7 février 2014

Dans cette chronique ’Nout mémwar’, voici la suite du 13ème chapitre (’La condamnation’) du texte de Louis-Timagène Houat paru quatre ans avant l’abolition de l’esclavage à La Réunion sous le titre ’Les Marrons’, au sujet des esclaves et des traitements imposés aux marrons dans les colonies françaises. L’auteur raconte comment un membre d’un groupe d’esclaves marrons, ’le Câpre’, échappe aux chasseurs de marrons puis rencontre dans une grotte un jeune couple de marrons, « une jeune femme blanche (Marie) tenant dans ses bras un enfant mulâtre » et « un grand jeune nègre » (Frême) ; ’le Câpre’ leur dit qu’il doit rejoindre son grand-père. Frême l’accompagne mais ils sont repérés par des chasseurs de marrons avec leurs chiens et Frême est tué par un coup de carabine. Un chasseur ramène aussitôt ’le Câpre’ chez son maître, Zézé Delinpotant, à Sainte-Suzanne ; celui-ci demande à son commandeur de mettre l’esclave rebelle en geôle avant de le conduire « devant le régisseur » ; au même moment, « trois autres malheureux Madagasses » sont emprisonnés et amarrés par des pièces de fer dans un cachot, dont leur ami Antacime réussit à les libérer et ils s’enfuient. Une dizaine de jours plus tard, « une frêle embarcation se brisa sur un des récifs de la Pointe des Galets, à Saint-Paul » avec trois « individus » à bord, qui se retrouvent « presque mourants à terre » ; « et, comme ils étaient noirs, on les arrêta, on les interrogea » et au tribunal on leur annonce qu’ils sont condamnés à mort...

— Ah ! s’écria le Scacalave à l’issue de la sentence inique, je vous remercie, bons
blancs ! Vous avez bu mes larmes, ma sueur ; vous avez mangé ma force, mon courage, toute ma liberté ; aujourd’hui vous voulez tout mon sang, ma mort ; tant mieux ! Merci ! Tant mieux ! Au moins je ne verrai plus ce que je maudis, votre...
Et il ne put continuer ; un bâillon lui fut appliqué à la bouche par des gendarmes, qui le saisirent aussitôt et le conduisirent à la geôle avec ses deux compagnons, l’Antacime et l’Amboilame.

Pendant ce temps, l’échafaud se dressait au bord de la mer, au lieu même où la barque fut prise, et le bourreau faisait ses préparatifs, aiguisait sa hache ; car la dernière fois qu’il eut à s’en servir, il en donna sept coups sur le col du patient, sans pouvoir terminer l’affreuse opération ; il n’y parvint qu’en sciant, pour ainsi dire, et il ne voulait pas voir se renouveler le désagrément d’une telle besogne.
L’exécution devait se faire le jour même.

À cause de ses apprêts qui demandaient quelques délais, elle fut remise au lendemain matin. Les habitants en reçurent avis, en même temps qu’il leur fut enjoint d’envoyer chacun une partie de leurs esclaves, à l’heure et à l’endroit indiqués pour le supplice, afin de les faire profiter du spectacle.
Or, le lendemain, dès la première apparence du jour, l’exécuteur, accompagné d’aides et de gardes, pénétra dans le cachot des condamnés. Il les trouva encore endormis ; et, en les éveillant, il leur dit : — Excusez, mes amis, si je vous dérange,... mais l’heure est arrivée...

(à suivre)


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