Nout mémwar

’Les Marrons’, de Louis-Timagène Houat — 63 —

14 février 2014

Dans cette chronique ’Nout mémwar’, voici la suite du 13ème chapitre (’La condamnation’) du texte de Louis-Timagène Houat paru quatre ans avant l’abolition de l’esclavage à La Réunion sous le titre ’Les Marrons’, au sujet des esclaves et des traitements imposés aux marrons dans les colonies françaises. L’auteur raconte comment un membre d’un groupe d’esclaves marrons, ’le Câpre’, échappe aux chasseurs de marrons puis rencontre dans une grotte un jeune couple de marrons, « une jeune femme blanche (Marie) tenant dans ses bras un enfant mulâtre » et « un grand jeune nègre » (Frême) ; ’le Câpre’ leur dit qu’il doit rejoindre son grand-père. Frême l’accompagne mais ils sont repérés par des chasseurs de marrons avec leurs chiens et Frême est tué par un coup de carabine. Un chasseur ramène aussitôt ’le Câpre’ chez son maître, Zézé Delinpotant, à Sainte-Suzanne ; celui-ci demande à son commandeur de mettre l’esclave rebelle en geôle avant de le conduire « devant le régisseur » ; au même moment, « trois autres malheureux Madagasses » sont emprisonnés et amarrés par des pièces de fer dans un cachot, dont leur ami Antacime réussit à les libérer et ils s’enfuient. Une dizaine de jours plus tard, « une frêle embarcation se brisa sur un des récifs de la Pointe des Galets, à Saint-Paul » avec les trois « Madagasses », qui sont condamnés à mort. L’exécuteur vient leur annoncer : « Excusez, mes amis, si je vous dérange,... mais l’heure est arrivée... ».

— Excusez, pourquoi ? reprit le Scacalave ; c’est à nous plutôt de vous demander pardon de la peine, à vous prier, ici comme là-bas, sur la grande table, d’aller vite, de ne pas trop nous faire languir...

— Oh ! soyez tranquilles, braves enfants, j’ai eu soin de l’outil... vous avez du courage... vous ne m’embarrasserez pas et ça ira vite, répondit l’exécuteur, tout en liant les bras des victimes et en les préparant à leur holocauste.

Une fois l’œuvre préparatoire achevée, on les sortit du cachot ; et, les faisant passer par des corridors remplis de Noirs enchaînés, on les conduisit sous la voûte de la grande porte de la geôle, où les attendait un piquet de gendarmerie...
— Avant de partir pour toujours, dit alors l’un des trois au concierge de la prison, qui venait de terminer les dernières formalités, nous vous demandons une grâce... Vous êtes un brave homme ; vous nous avez donné à boire et à manger comme nous n’en avons pas eu de notre vie, et vous ne nous avez pas tracassés... Faites-nous donc le plaisir de recevoir nos adieux et remerciements..., de prendre pour la première et la dernière fois un petit verre d’arack avec nous... ».

Le concierge, qui était un bon et ancien militaire européen, n’eut garde de refuser ; il trouva chez eux tant de courage, de résignation et de malheur, qu’il sentit ses yeux et son cœur se gonfler : il fit plus que de prendre un petit verre avec eux, il leur donna une poignée de main comme à des frères d’armes sur le point d’être fusillés.

(à suivre)


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