Nout mémwar

’Les Marrons’, de Louis-Timagène Houat — 64 —

21 février 2014

Dans cette chronique ’Nout mémwar’, voici la fin du 13ème chapitre (’La condamnation’) du texte de Louis-Timagène Houat paru quatre ans avant l’abolition de l’esclavage à La Réunion sous le titre ’Les Marrons’, au sujet des esclaves et des traitements imposés aux marrons dans les colonies françaises. L’auteur raconte comment un membre d’un groupe d’esclaves marrons, ’le Câpre’, échappe aux chasseurs de marrons puis rencontre dans une grotte un jeune couple de marrons, « une jeune femme blanche (Marie) tenant dans ses bras un enfant mulâtre » et « un grand jeune nègre » (Frême) ; ’le Câpre’ leur dit qu’il doit rejoindre son grand-père. Frême l’accompagne mais ils sont repérés par des chasseurs de marrons avec leurs chiens et Frême est tué par un coup de carabine. Un chasseur ramène aussitôt ’le Câpre’ chez son maître, Zézé Delinpotant, à Sainte-Suzanne ; celui-ci demande à son commandeur de mettre l’esclave rebelle en geôle avant de le conduire « devant le régisseur » ; au même moment, « trois autres malheureux Madagasses » sont emprisonnés et amarrés par des pièces de fer dans un cachot, dont leur ami Antacime réussit à les libérer et ils s’enfuient. Une dizaine de jours plus tard, « une frêle embarcation se brisa sur un des récifs de la Pointe des Galets, à Saint-Paul » avec les trois « Madagasses », qui sont condamnés à mort. L’exécuteur vient leur annoncer : « Excusez, mes amis, si je vous dérange,... mais l’heure est arrivée... ».

Le départ ordonné, les portes de la geôle s’ouvrirent, et le triste cortège se mit en marche. Les trois victimes s’en allaient à pied et d’un pas ferme, entre une haie de gendarmes et de gardes de police. Le bourreau, qui marchait derrière elles, les tenait par une corde et portait sur le dos, à la façon d’une gibecière, un grand sac de vacoa d’où l’on voyait sortir le manche du fatal instrument.

On avait, pour se rendre à l’endroit du supplice, environ quatre lieues à faire ; et, tout le long de la grande route de Saint-Denis à Sainte-Suzanne, était accourue une foule d’individus de tous sexes, de toutes conditions, de toutes couleurs, les uns par obligation, les autres par plaisir et curiosité : ceux-ci ricanaient au passage des fugitifs voués à la mort, et leur lançaient des quolibets plus ou moins impitoyables sur leur évasion manquée ainsi que sur l’horrible sort qui les attendait ; ceux-là, tout au contraire, les regardaient avec commisération, les plaignaient, pleuraient au fond de leur âme ; mais, quelles que fussent leur douleur et leur révolte intérieures, ils se gardaient de les témoigner et se taisaient ; tandis que les trois infortunés, calmes, tranquilles, résignés, passaient sans s’occuper des regards et des paroles de la multitude, comme aussi sans montrer ni bravade ni faiblesse ; et plus ils approchaient du lieu fatal, plus ils paraissaient se fortifier dans la pensée de leur sacrifice ; et plus également la foule grossissait et devenait compacte d’esclaves envoyés de tous les bords.

On était au mois de juin, le jour avançait, le soleil était brûlant ; toutefois de gros nuages, qui traversaient la zone, interceptant les rayons solaires de temps à autre, rafraîchissaient l’atmosphère, ainsi qu’une brise humide soufflant du sud-est, et permettaient au cortège de ne pas se ralentir. Cependant, après trois heures de marche, il fallut faire une pause, et l’on s’arrêta pour se remettre, en un lieu-dit Le Bel-Air, lieu charmant, mais d’où l’on pouvait voir, en avant, dans le lointain, de l’autre côté de la rivière, le lugubre plancher, en forme de table quadrangulaire, avec un petit escalier à gauche, s’élever sur la berge marine...

 (à suivre) 


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