Nout mémwar

’Les Marrons’, de Louis-Timagène Houat — 66 —

7 mars 2014

Dans cette chronique ’Nout mémwar’, voici la suite du 14ème et dernier chapitre (’L’exécution’) du texte de Louis-Timagène Houat paru quatre ans avant l’abolition de l’esclavage à La Réunion sous le titre ’Les Marrons’, au sujet des esclaves et des traitements imposés aux marrons dans les colonies françaises. L’auteur raconte comment un membre d’un groupe d’esclaves marrons, ’le Câpre’, échappe aux chasseurs de marrons puis rencontre dans une grotte un jeune couple de marrons, « une jeune femme blanche (Marie) tenant dans ses bras un enfant mulâtre » et « un grand jeune nègre » (Frême) ; ’le Câpre’ leur dit qu’il doit rejoindre son grand-père. Frême l’accompagne mais ils sont repérés par des chasseurs de marrons avec leurs chiens et Frême est tué par un coup de carabine. Un chasseur ramène aussitôt ’le Câpre’ chez son maître, Zézé Delinpotant, à Sainte-Suzanne ; celui-ci demande à son commandeur de mettre l’esclave rebelle en geôle avant de le conduire « devant le régisseur » ; au même moment, « trois autres malheureux Madagasses » sont emprisonnés et amarrés par des pièces de fer dans un cachot, dont leur ami Antacime réussit à les libérer et ils s’enfuient. Une dizaine de jours plus tard, « une frêle embarcation se brisa sur un des récifs de la Pointe des Galets, à Saint-Paul » avec les trois « Madagasses », qui sont condamnés à mort et emprisonnés à Saint-Denis. Peu après, l’exécuteur les fait marcher jusqu’à Sainte-Suzanne ; et deux esclaves — l’un de taille moyenne et l’autre très grand —, venus des Hauts de la commune, veulent les sauver ; ils les aperçoivent approchant de leur lieu d’exécution…

Ce voyant, nos deux coureurs se hâtèrent davantage ; et, dans leur empressement, ils traversaient les champs, les enclos — sans s’inquiéter des maîtres — et sautaient les fossés, les ruisseaux, comme s’ils avaient des ailes...
—  Oh ! j’ai comme entendu un coup de canon !, dit avec effroi et en s’arrêtant le moins grand des deux nègres.
—  Ce n’est pas possible !, répondit l’autre, et il redoubla de vitesse.
—  Écoutez ! entendez-vous le tambour !...
—  Bon Dieu ! bon Dieu ! nous arriverons trop tard !... Ils sont perdus !... C’est fini !...
Mais le grand nègre n’entendait plus. Lancé tel qu’un cerf, il employait les derniers efforts de son agilité, de son énergie puissante... Laissant son camarade loin derrière, il arriva bientôt au grand chemin, où, tel qu’un énergumène, abordant, fendant aussitôt la foule, il criait d’une voix de tonnerre :
— À moi, mes amis ! Venez ! Venez ! Ne laissons pas tuer des innocents ! Venez, suivez-moi !
Alors, d’un bout de la multitude à l’autre, il y eut une secousse, un ébranlement subit, général ; en même temps qu’un bruit sourd, grondeur, semblable au bruit de l’Océan en courroux, s’en éleva et bourdonna dans l’air.
Le courage et la parole du grand Noir avaient vibré dans la masse esclave ; et cette masse, qui naguère n’osait faire un geste, ni dire un mot, d’inerte, silencieuse et craintive qu’elle était, devint tout à coup active et menaçante, et voulut suivre, comme un seul homme, celui qui venait de lui communiquer l’étincelle électrique.

 (à suivre) 


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