Nout mémwar

’Les Marrons’, de Louis-Timagène Houat — 7 —

18 janvier 2013

Dans le cadre de cette chronique ’Nout mémwar’, voici la suite du texte de Louis-Timagène Houat paru quatre ans avant l’abolition de l’esclavage à La Réunion sous le titre ’Les Marrons’. Réputé premier roman de La Réunion, ce livre avait été rédigé pour éclairer la population en France sur la condition des esclaves et les traitements imposés aux marrons de l’Empire français. Au début de son texte, l’auteur raconte comment quatre esclaves marrons malgaches quittent « l’habitation coloniale » « au pied des Salazes » pour se réfugier dans les Hauts. Durant leur parcours, ils font une pause et l’un d’eux, « le Sacalave », soutenu par ses amis, exprime la cause de sa révolte, rappelant notamment les violences dont sont victimes les esclaves et les appelant à combattre l’esclavage.

Un grognement comme un écho sourd répondit à ces mots de vengeance. Après quoi l’Antacime prit la parole et s’exprima ainsi :

—  Frère Scacalave a rappelé des choses qui font tomber des larmes sur le cœur : je ne peux parler comme lui ; ma langue n’a pas l’instinct de mes pensées ; avec cela, dire ce que l’on m’a fait, c’est impossible ; mais je m’en souviendrai toujours...

J’étais un petit garçon tout enfant encore, lorsqu’on m’a volé dans mon pays ; je gardais nos bœufs dans les champs, et, à la brune, quand j’allais rentrer chez nous, quelqu’un m’a saisi par le corps ; je me suis débattu, j’ai crié, on m’a fermé la bouche, on m’a frappé, on m’a fait peur de la mort ; et, après m’avoir amarré les bras derrière le dos, on m’a enlevé comme un rouleau de bois, en m’emportant bien vite et bien loin...

Ah ! que cela fait mal !...
Et vous comprenez mes larmes et mon désespoir, en pensant à ma famille, en me voyant devenu esclave !...

Rendu à bord, on m’a dégagé les bras, mais on m’a mis en prison dans une barrique avec plusieurs autres ; j’ai vu, plus tard, que nous étions beaucoup sur le navire ainsi foulés dans des barriques ; et cela, pour cacher, je crois, la

contrebande de nous-mêmes...

Mais il n’y a rien pour rendre ce qu’on souffre là, frères, dans cette espèce de cercueil, serré entre des malades et des morts,... privé de votre respiration,... mourant de chaleur, de soif et de faim, et n’ayant à boire et à manger que des choses sales, puantes...

—  Oh ! c’est horrible ! interrompit l’un d’eux.

—  Je connais cela, moi, car on m’a fait manger, à bord, de la chair de nos camarades ; et, quand nous avons été poursuivis par un autre navire, on a jeté mon frère avec d’autres tout en vie à la mer !...

(à suivre)


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