Cinéma et musique à la télé

“Ligne Paradis”, petite balade en pays maloya

18 décembre 2004

La salle de l’auditorium du Conservatoire National de Région était pleine pour l’avant-première du film “Ligne Paradis” de Luc Bongrand. Une promenade avec Firmin Viry, où les Réunionnais resteront peut-être sur un sentiment de manque, mais qui donnera envie aux autres de découvrir La Réunion.

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C’est lors du dernier festival Art Métis que Luc Bongrand et Firmin Viry ont sympathisé. Le chanteur a accepté la proposition du réalisateur : ainsi est né le film “Ligne Paradis” produit par France Mexique Cinéma. Luc Bongrand le précise : "ce n’est pas un portrait de Firmin Viry, mais un voyage." L’auditorium du Conservatoire national de Région était plein pour l’avant-première.
Le premier mérite de ce film est d’exister, de figer sur la bande la voix et l’image de celui qui est reconnu aujourd’hui comme l’une des icônes du maloya. Firmin Viry amène le spectateur à la rencontre de plusieurs autres artistes de différentes générations : Danyèl Waro, Ti-Fock, Salem Tradition, Mélanz Nasion...
Toute une famille de musiciens dont le cœur bat au même rythme. Chacun d’eux délivre le regard qu’il porte sur leur aîné et parle de sa propre approche musicale. Diffusé en dehors de l’île, ce film permettra de faire connaître plusieurs artistes qui portent le flambeau de cette musique de la résistance.

Mille raisons d’applaudir

Nous aurions mille raisons d’applaudir ce documentaire, d’autant plus que l’exposition organisée par notre journal à l’occasion de ses soixante ans figure dans une séquence et que les luttes menées pour la reconnaissance de l’identité réunionnaise sont évoquées.
Cependant, l’importance que nous accordons au sujet nous autorise à répondre au regard que le réalisateur parisien a porté sur nous. Il est fort dommage que le combat identitaire soit réduit à une simple évocation, qu’il soit implicite et trop imprécis. Dommage que le film ne comporte aucune image d’archive. Dommage aussi qu’il se réduise trop souvent à une image de carte postale, celle d’un regard extérieur émerveillé qui veut nous rendre hommage.
Techniquement, le film est saccadé, peut-être à cause d’une mauvaise compression d’images pour le DVD. La bande sonore a été bâclée, la voix off du commentaire est beaucoup plus forte que celle des personnages, ce qui nuit au confort de l’écoute, d’autant plus que certains passages sont inaudibles et que par moments la musique se résume en un brouhaha. La qualité même de certaines images, notamment lors de la discussion en bord de mer, laisse à désirer.

Un fil rouge élastique

Ce ne sont là que des détails. Le plus embêtant, c’est que le fil rouge du documentaire est très élastique. On passe d’une scène à l’autre, d’un chanteur à un autre, sans que le cheminement ne fasse sens.
Est-ce Firmin Viry qui nous nous guide ou bien le réalisateur - qui aime à “fictionniser” ses documentaires - qui met en scène Firmin Viry ? Nous pensons particulièrement à cette scène où Firmin Viry va jouer à Mafate, alors que c’est la première fois qu’il allait dans ce cirque, pour les besoins d’un film se transformant pour le coup en road movie.
Les Réunionnais n’apprendront pas grand-chose avec ce documentaire, rien en tout cas sur le processus qui permettrait de répondre à cette simple question : comment devient-on chanteur dans la société réunionnaise ?
En revanche, diffusé à l’extérieur, ce documentaire participera à donner envie de découvrir La Réunion, son âme et sa musique. Pour tout dire, on a quasiment plus appris des échanges qui ont eu lieu après le film, que du film en lui-même.

Eiffel

"Ligne Paradis", à voir lundi 20 décembre à 20 heures sur Télé Réunion.



"Peuple Maloya" : un vrai moment d’émotion

Le rôle prépondérant du P.C.R. dans la reconnaissance de la musique réunionnaise a été unanimement salué pendant les débats qui ont suivi la projection. La chanteuse Afatia a remercié le président Paul Vergès de manière très émouvante.

Après la projection du film “Ligne Paradis”, les personnes présentes (lire ci-dessus) ont pu s’exprimer. Elles ont partagé leurs impressions et leurs sentiments sur cet hommage à l’homme, flambeau de notre culture maloya. L’importance de valoriser notre culture, notre patrimoine musical, est apparue comme une nécessité, un besoin vital pour l’affirmation et la construction de notre identité.

Le rôle prépondérant du PCR, à une époque ou le maloya était censuré, réduit à la seule expression d’une musique “barbare” de la révolte esclavagiste, a été salué de façon unanime. Firmin Viry se rappelle son engagement au côté de ses camarades communistes qui lui ont permis de réaliser le premier enregistrement, alors interdit à la vente et à la diffusion.
C’est au cours d’une de ces soirées du 20 décembre, organisées chaque année par le PCR, que deux grands Zarlor de notre patrimoine musical, Firmin et Gramoun Lélé, ont pu se rencontrer et partager leur combat identitaire.
Firmin, petit gramoun au grand talent et au grand cœur, a souligné que lorsqu’il était invité en représentation à l’extérieur de notre île, ce n’était pas son maloya qu’il mettait en avant, mais la musique de tout un peuple, l’identité réunionnaise toute entière.
Il a appelé au respect de nos ancêtres, à la connaissance de notre Histoire, à l’"honnêteté", car le maloya vient des tripes et qu’avec lui, on ne peut pas tricher. Beaucoup a été fait dans une époque de répression, ou notre culture était bâillonnée, niée, beaucoup reste encore à faire et il compte sur la jeune génération pour poursuivre l’œuvre réunionnaise.

"Comment va-t-on faire après vous ?"

L’intervention de la chanteuse du groupe Afatia a également constitué un moment fort de cette soirée. "Les artistes sont libres, on ne peut pas leur imposer leur style. Merci à vous de nous permettre cela", déclarait Afatia, en tenant la main du président du Conseil régional Paul Vergès.
Elle l’a salué pour son soutien passé et présent, a confirmé que les artistes de La Réunion ont besoin de lui et, l’embrassant à plusieurs reprises, a posé ouvertement la question que beaucoup d’entre nous se posent : "Comment va-t-on faire après vous ?"
Cette spontanéité, la franchise de cette déclaration ont soulevé la salle, ainsi que le président qui a eu du mal à retenir son émotion. Il a conclu les interventions en soulignant que pour lui, la preuve la plus révélatrice du caractère fédérateur de notre musique est de voir un enfant, un tout petit, bouger au rythme de sa musique, car elle est en lui sa racine, sa force.
Nous portons en chacun de nous notre culture, notre identité, portons-la ensemble pour aller plus loin, a terminé en substance le président, avant de rejoindre le rond maloya dans la cour du Conservatoire national de Région.

Estéfany


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