Le déboulonnage de statues de Victor Schoelcher en Martinique, le 22 mai, par deux jeunes femmes-quel fort symbole !-a provoqué des réactions contrastées :
* pitoyables, comme celle du chef de l’Etat (’ La mémoire de Victor Schoelcher et de la République a été salie ’) qui, visiblement, ne connaît pas bien l’Histoire de son pays ; celle aussi de tristes colonisés qui continuent de s’ignorer en tant que tels en 2020 !
* empreintes de beaucoup de dignité et de fermeté, comme celle de Françoise Vergès qui a rappelé, comme il convenait, que l’abolition de l’esclavage, dans les colonies françaises de 1848 n’a en rien signifié ni immédiatement ni à terme, l’établissement d’un régime de liberté, d’égénéralité, de fraternité comme le proclame la devise républicaine, impliquant pourtant en toute logique le refus absolu du racisme et du colonialisme !
Pour appuyer notre conviction que certains aimeraient bien faire dire à l’Histoire tout le contraire de ce qu’elle fut réellement, il nous suffira de nous en tenir à quelques jalons particulièrement significatifs, parmi une multitude de faits sans rechercher une impossible et inutile exhaustivité.
Exemple d’exactions de l’armée coloniale en 1947 à Madagascar qui avait pour mission notamment d’écraser le MDRM.
Première abolition et opportunisme conjoncturel
Déjà, avant même qu’il fût question de République inconséquences et contradictions se faisaient déjà jour. Le philosophe catalan, Luis Sala Molins, lors de sa venue à La Réunion, il y a plus de 20 ans, faisait remarquer qu’une des grandes figures des Lumières du XVIIIe siècle, Voltaire en personne, n’oubliait pas d’être un actif homme d’affaires, important actionnaire de la Compagnie des Indes, et profitant donc de l’esclavage colonial. Autre exemple éloquent : la Constitution de 1791 votée par l’Assemblée Constituante, en théorie inspirée de la Déclaration des Droits de L’homme et du Citoyen, outre qu’elle excluait les pauvres du droit de vote, ainsi que les femmes-déjà -, s’est bien gardée d’abolir l’esclavage.
Il fallut attendre le début de I794 sous la Convention Montagnarde pour que l’abolition se réalisât, sans doute pour une part, par idéal, mais aussi dictée par un opportunisme conjoncturel, certains Conventionnels craignant de voir l’Angleterre s’installer dans les colonies antillaises en particulier, à la faveur de troubles qui ne manqueraient pas de s’y développer, en cas de refus de l’abolition. Nous savons ce qu’il advint ensuite…
Modération de Sarda Garriga envers les propriétaires d’esclaves
Lorsque se produisit à Paris la Révolution de Février 1848, aboutissant à la proclamation de la IIe République, l’abolition fut, certes, un des premiers actes du Gouvernement provisoire, et nous ne reviendrons pas sur ce qui a été dit à propos des équivoques de Schoelcher. Ici même, à La Réunion, la temporisation de Sarda Garriga pour préserver le bon déroulement de la campagne sucrière est bien connue, ainsi que l’indemnisation des propriétaires d’esclaves. Malgré cela, il faut croire que l’amertume resta bien ancrée dans la tête des possédants et des autorités coloniales pour ne jamais célébrer la date du 20 Décembre 1848, ni dénommer aucune voie ou lieu important du nom de Sarda Garriga à part peut-être le Barachois et encore !
Au sujet de cette question des dénominations, nous savons de source sûre que l’hypothèse de l’appellation du premier lycée, en ville de Saint-Paul, du nom du Commissaire de la IIe République, fut repoussée par l’administration centrale à la fin des années 1970 ! Et si certains peuvent regretter que le premier lycée de Saint-André porte le nom de Sarda Garriga, il faut savoir qu’’ à défaut de ce nom, il aurait pu s’appeler…… Michel Debré !!!
Toujours à propos de Sarda Garriga, on peut s’étonner de sa modération, on pourrait peut-être même dire sa complaisance, à l’égard des propriétaires d’esclaves, quand on sait que, politiquement, il se rattachait au groupe des "Montagnards", qui représentait, d’où son appellation, la "Gauche radicale" dans l’Assemblée Législative élue en mai 1849 ; ce qui illustre s’il le fallait le profond décalage entre la vision de la "gauche" métropolitaine et la réalité coloniale, déjà à cette époque !
La République raciste de Jules Ferry
La question de l’esclavage étant, si l’on peut dire, réglée, reste celle de la colonisation et de sa formidable expansion au XIXe siècle. La IIIe République ne donna pas sa part au chat et, au contraire revendiqua sa participation active à la conquête coloniale, avec des arguments qui font frémir si l’on ne donne pas à l’idée républicaine le contenu révolutionnaire pour lequel nous nous battons encore aujourd’hui. Témoin, ce discours prononcé à la Chambre des députés par Jules Ferry, le 28 Juillet 1885, dans lequel il expose sans fard et parmi d’autres, les objectifs économiques et affairistes de la métropole, sans la moindre considération pour les populations des territoires convoités, sauf lorsque dans une envolée, il se souvient de leur existence pour proclamer, sous couvert du "côté humanitaire et civilisateur de la question", "il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures". Fermez le ban, iconographie à l’appui ! Vous avez bien lu, il s’agit de Jules Ferry, le "père" de l’Instruction Publique en France, dont pas une ville ne possède une rue, une place, une avenue à son nom, quand ce n’est pas un lycée ! On dira que les Anglais n’étaient pas mal non plus, mais quand même !!!
Répressions et exposition coloniale
Ne nous étonnons pas dans ces conditions, de ce que furent la conquête et la domination coloniales : où choisir dans la longue liste des violences, des massacres, spoliations et exactions de toutes sortes, au palmarès de la République ? Nous en avons retenu un exemple : la répression du soulèvement des paysans tonkinois en septembre I930, en Indochine. La répression fut tellement sauvage que, dans les communications pourtant encore difficiles de l’époque, l’écho en parvint jusqu’en France et donna lieu à la publication d’un ouvrage, préfacé par André Malraux en personne, "SOS Indochine", en 1933.
Que dire encore de la scandaleuse Exposition Coloniale de 1931 qui, au prétexte de célébrer la puissance et la "mission civilisatrice" de la France, n’hésita pas à présenter aux visiteurs, comme du bétail et dans des conditions invraisemblables d’inhumanité, des représentants de la population Kanak de Nouvelle-Calédonie !
Cependant et pour des raisons diverses que nous n’avons pas à aborder ici, la domination européenne et celle de la France en particulier commença à être contestée, déjà après la Ière Guerre mondiale, mais surtout à la faveur de la Seconde.
De Gaulle : souveraineté valable pour les peuples européens, pas pour les colonisés
C’est ainsi que, dans la perspective d’une fin possible et prochaine de la guerre, le Comité Français de Libération Nationale, fondé par le général de Gaulle à Alger, en Juin 1943, avait décidé de convoquer ce qui est resté dans l’Histoire, la Conférence de Brazzaville (Janvier /Février 1944) pour examiner le problème de l’avenir de l’Empire Colonial qui avait déjà révélé son importance dans le cours de la guerre. Nous ne retiendrons ici que l’aspect politique de ses conclusions. Elles n’envisagent pas un seul instant la mise en cause de la souveraineté française pas même l’idée d’une quelconque autonomie ni la possibilité d’une évolution hors du bloc français de l’Empire. Comme le déclara un juriste, "on n’a jamais formulé avec une rigueur aussi dépourvue de nuances, un principe d’assujettissement des peuples colonisés à leur métropole".
Mais, lorsqu’à la faveur du débarquement allié en Normandie, le général de Gaulle repose le pied sur le sol français en juin 1944, quelle est sa première décision ? Il nomme un commissaire de la République, en la personne de M. Triboulet pour assurer l’administration FRANCAISE des territoires au fur et à mesure de leur libération et affirmer ainsi la souveraineté de la France, contre la volonté des Anglo-Américains d’en faire une zone d’occupation sous administration militaire (projet de l’AMGOT) pour laquelle avaient déjà été imprimés les billets de banque qui y auraient été mis en circulation ! Cette tentative fut mise en échec par l’opposition farouche du général de Gaulle et la reconnaissance de la légitimité du GPRF par les Américains en octobre 1944. Nous ne blâmerons certes pas de Gaulle pour cette attitude tout à fait légitime. Mais, le problème c’est que sa conception de la souveraineté nationale était à géométrie variable (cf ci-dessus les conclusions de Brazzaville) : la revendication de la souveraineté était valable pour les peuples européens, pas pour les colonisés !!
Guerre d’Indochine et répression à Madagascar
Ceux-ci ne tardèrent pas à en faire rapidement l’expérience : les Vietnamiens d’abord, les Malgaches ensuite. En effet, et sans nous aventurer dans le détail d’une situation extrêmement complexe, il faut savoir que le Viet-Minh, créé dès mai I941 par Hô-Chi-Minh, profita de la capitulation japonaise pour proclamer l’indépendance de la République démocratique du Viêt -
Nam le 2 septembre 1945 ; mais à partir de ce moment la France, de Gaulle en tête, n’eut de cesse d’y rétablir son autorité. Aucune des négociations conduites tout au long de l’année 1946 n’aboutit et cela déboucha sur la guerre à la fin de cette année.
Ceux qui, plus près de nous, firent à leur tour l’expérience de la politique de blocage de la France sous la IV e République, furent les Malgaches dont le soulèvement d’avril 1947 fit l’objet d’une cruelle répression, largement passée sous silence à l’époque, dont on ne possède que très peu d’images et dont on minimise encore parfois aujourd’hui le bilan (sans doute autour de 80000 morts !!). Oui, l’on a décidément de quoi être fier de la colonisation française !
Interroger l’attitude du PCF à l’époque
Alors, dans tout cela, peut-on dire qu’en France tout le monde a eu les mains nettes face à cette question du racisme, du colonialisme et dans la lutte pour s’en libérer ? Ce n’est pas ici que nous répondrons, tellement la tâche est énorme, encore en cours d’écriture et les historiens ont encore bien du pain sur la planche ! Pour être honnêtes-ou du moins, pour essayer de l’être, nous nous en voudrions de ne pas nous interroger déjà sur l’attitude de ceux qui sont souvent apparus au premier rang dans les luttes pour la décolonisation : les communistes français. Il est clair que dès la création du PCF en décembre 1920 au Congrès de Tours, l’affirmation anticolonialiste fut immédiate.
Mais au-delà de déclarations idéologiques de principe, souvent virulentes, les communistes français sont gênés par leur audience encore limitée, pour diverses raisons, dans les années 1920/1930, au point qu’au Congrès de l’Internationale à Moscou en 1925, le futur Hô-Chi-Minh put reprocher à ses camarades français "leur indifférence" sur les problèmes de l’outre-mer. Toutefois, L’Humanité avait auparavant ouvert ses pages à sa dénonciation vigoureuse du colonialisme et à son "Procès de la colonisation française". Et pour en revenir au déclenchement de la guerre d’Indochine en Novembre / Décembre 1946, dès 1947 le PCF prit ouvertement position contre la guerre et pour l’indépendance.
Il est un autre dossier sur lequel le PCF a été souvent interpellé, ses sinuosités à propos de l’indépendance algérienne lui ayant été souvent reprochées. Elles lui valurent l’incompréhension d’une partie du courant anticolonialiste en France, malgré son opposition formelle au système colonial. Surtout, nous ne voudrions pas oublier le tragique destin de militants communistes assassinés et / ou torturés par des militaires français, comme Maurice Audin et Henri Alleg entre autres. Mais comme il n’est pas question de résumer cette page douloureuse de l’Histoire en deux phrases, nous préférons renvoyer à l’honnête ouvrage d’Alain Ruscio, "Les communistes et l’Algérie : des origines à la guerre d’indépendance, I920 /1962" (Ed. La découverte).
Il nous reste à souhaiter, très modestement, que l’effort de connaissance et de réflexion que nous nous sommes efforcés de partager avec les lecteurs de Témoignages en fasse réfléchir certains sur leur responsabilité quand ils se risquent à écrire n’importe quoi !
Jean-Paul Ciret, simple militant du Parti Communiste Réunionnais