OCÉAN INDIEN

« On a perdu nos racines »

15 novembre 2007

Jean-François Colin, 29 ans, technicien en climatisation, est d’origine chagossienne. Ce jeune slameur n’a pas sa langue dans sa poche, et il compte bien faire entendre sa voix, celle d’un arrière petit-fils et petit-fils de Chagossiens. Il nous confie sa vision de cette histoire.

Jean-François Colin.
(photo Bbj)

Tu es d’origine chagossienne, c’est cela ?

- Non, pas directement, mais je suis arrière petit-fils et petit-fils de Chagossiens.

Alors, qui étaient Chagossiens dans ta famille ?

- Ma grand-mère est Chagossienne, mon arrière grand-père était aussi Chagossien.

Ils étaient en vacances à Maurice, et de retour sur l’Archipel des Chagos, on leur a demandé de revenir sur Maurice. Ils t’ont raconté comment cela s’est passé ?

- Ils me l’ont dit. Parce que mon arrière grand-père faisait des allers-retours de Bodam à Maurice. Et quand ils ont débarqué aux alentours de 1955-1956, ils ont dit à mon arrière grand-père : « Tu ramènes ta famille, et tu restes à Maurice », cela sans raison, sans expliquer pourquoi ils doivent rester à Maurice au lieu de retourner là où ils sont nés.

Tu as connu ton arrière grand-père ?

- J’ai eu la chance de connaître mon arrière grand-père parce qu’il a vécu jusqu’à 100 ans quand même. C’est magnifique. Il est décédé en 1996, et les souvenirs que j’ai de cet homme sont magnifiques. Il nous racontait toujours la chasse aux tortues, ou sinon les mets qu’ils préparaient chez lui, dans sa famille, la façon dont on partageait la nourriture, les bêtes qu’ils ont capturées. Par exemple, ils vont chez les colons, comme ils disent, ils vont prendre un cochon, et les colons ne se rendront jamais compte qu’ils ont une bête en moins dans leur cheptel, ils en avaient tellement. Après, ils vont se partager ça entre cinq ou six familles. Et là, tout le monde est content. Et puis, si moi je plante des légumes, je t’offre des légumes. Et si toi, tu as des poulets, ou des bêtes, quoi que ce soit, tu vas m’en rapporter quand les bêtes sont prêtes à manger. C’est le système de troc. Et tout le monde vivait bien tranquillement, sans se soucier de quoi que ce soit.

Alors, comment s’est déroulée l’arrivée de ta famille à Maurice ?

- Arrivés à Maurice, ils ont débarqué sur le port comme tout le monde. Et là, ils ont habité Port-Louis, comme presque toute la famille, même mon arrière grand-mère, mon arrière grand-père aussi, sa sœur, etc... Au début, c’était vers Tranquebar et après vers Roche Bois. Mon arrière grand-mère était arrivée, elle avait seize, ou dix-sept ans peut-être. Et là, ils ont appris à vivre à la mauricienne. Ici, il faut travailler, gagner les sous et savoir comment le dépenser, et surtout comment ne pas se faire arnaquer.

Parce que les Chagossiens n’avaient aucun rapport à l’argent, ne savaient pas gérer l’argent ?

- Ils ne savaient vraiment pas gérer l’argent, parce que c’était le système de troc. Au Chagos, ils fonctionnaient avec des carnets pour les aliments, pour tout ce qui était nécessaire.

Et donc, les enfants de ton arrière grand-père sont tous nés à Maurice ?

- Non, pas tous. Il y a ma grand-mère et ses frères qui sont nés à Bodam, une île des Chagos. Et il y a ceux qui sont nés à Maurice. Et moi, je suis de la branche de ceux qui sont nés à Maurice.

« Je pleure des larmes de sang tous les jours »

Et quel regard portes-tu sur cette histoire ?

- Mon regard est critique. Parce qu’il y a l’hypocrisie qu’il y a derrière. On dit toujours qu’on a eu l’indépendance sans verser de sang, mais alors que ma grand-mère et mes aïeux pleurent toujours. Comme le dit ma grand-mère, mot pour mot : « Le sang n’a pas été versé, oui, on n’a pas vu de sang couler, mais je pleure des larmes de sang tous les jours ». Et ça me chiffonne de l’entendre, en tant que descendant de Chagossiens. Parce que l’on a perdu nos racines, on a perdu plein de choses. Vu qu’avec l’histoire de l’esclavage, on a perdu des repères, et maintenant encore, d’autres repères. C’est difficile de vivre pour eux.

Pour toi, est-ce une sorte de traite négrière l’histoire des Chagossiens ?

- Oui, c’est pour moi la même chose. Les descendants africains ont été déportés vers les colonies pour être à l’état de l’esclavage. Mais les Chagossiens n’ont certes pas connu les mêmes sévices, mais je parle là de sévices moraux. Parce qu’ici, si tu n’as pas de travail, tu ne manges pas. Si tu ne manges pas, comment tenir la famille ? Tu te fais toujours des soucis, que des tracas, tu tombes dans l’alcoolisme, dans la misère.

Et par rapport au combat que mènent certains Chagossiens, dont Charlésia... es-tu proche de ce milieu ?
Pas tellement parce que les activités que j’ai me privent de temps pour y assister, mais je reste toujours en contact par voie de presse. Le combat est un combat non seulement symbolique, mais aussi un combat pour la reconnaissance de l’identité chagossienne.

Qu’est-ce que l’identité chagossienne pour toi ?

- La façon de vivre, de manger, de communiquer, la fraternité, cela fait partie de l’identité chagossienne. Ma grand-mère me disait que la famille était vraiment importante. Les voisins, tout le monde comptait. C’est important pour bâtir une société. Et tout cela, ils ne l’ont pas retrouvé à Maurice. Déjà, les Mauriciens ici les traitaient d’îlois, sans se rendre compte que tous les habitants d’une île sont des îlois, des îliens. On te le disait pour te dénigrer, te rabaisser plus bas que terre.

Et actuellement, selon toi, les Chagossiens pourront-ils récupérer leur archipel ?

- Je l’aurais souhaité, comme bien d’autres. Mais si nous récupérons ces terres, sans les équipements pour permettre aux Chagossiens de bien vivre, avec des maisons, des infrastructures, tout ça, cela ne vaut pas la peine de retrouver une île déserte. Il faut tout rebâtir de mains d’hommes. Il faut le bon sens du gouvernement, et de tout le monde.

Comment il faudrait changer les choses ?

- Ce sont les décideurs qui doivent s’engager vraiment, et dire qui est pour le retour des Chagossiens sur leurs îles natales. Et ils doivent se demander comment faire pour soutenir la vie là-bas ? Comment les gens vont-ils vivre ? Comment l’île sera ravitaillée ? Et qui prendra en charge tout cela ? Est-ce l’Amérique, l’Angleterre ou bien l’île Maurice ? Parce que Maurice revendique ses droits sur ces îles, mais pourra-t-elle soutenir le développement ? C’est une tout autre chose. Déjà à Maurice, c’est déjà difficile pour bien vivre.

Propos recueillis par Bbj

Chagos

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Messages

  • Bonjour, je m’amusais sur internet lorsque surprise, je trouve mon homonyme à l’autre bout de l’océan :)
    Jean-François Colin (Guyane française)


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