Patrimoine et archéologie

’On est dans une situation d’urgence’

18 septembre 2006

Éric Kichenapanaidou, archéologue de formation, ne peut malheureusement pas exercer son métier à La Réunion qui ne possède pas d’archéologie régionale. Opérer des fouilles ici relève d’un grand combat administratif, alors que la législation en matière de protection du patrimoine n’est pas appliquée. Si les Journées du Patrimoine permettent un coup de projecteur sur des fils de notre Histoire à un moment T, en revanche notre patrimoine s’effiloche chaque jour davantage. L’urgence n’est pas relevée.

L’archéologie est toute nouvelle à La Réunion. Les premières prospections datent de 1998. Quatre campagnes de fouilles ont été réalisées sur le site du Petit Brûlé à Sainte-Rose qui ont permis de retrouver des structures d’habitat avec du matériel, des pierres taillées, des objets en verre, en porcelaine, rarement des ossements et du bois.

Une nouvelle vision de l’Histoire

"Ce qui est intéressant, c’est que ces structures d’habitat circulaires font partie d’un ensemble plus vaste, et pourraient attester de lieux de vie." Peut-être un village d’affranchis, mais aucune source orale ou écrite ne peut en témoigner. Reste l’archéologie. Si cette science a permis dans d’autres régions de l’Océan Indien de dérouler des pans d’histoire, elle n’est pas suffisamment développée à La Réunion pour apporter ses précieux éclairages.
"Selon les écrits des colons, l’histoire de Madagascar commençait au XVIème siècle, explique Éric Kichenapanaidou. Les premières fouilles archéologiques des années 60 ont permis de reculer la présence humaine au 6ème siècle (...) A La Réunion, on a une école historique récente basée sur les documents liés à la société de plantation qui donne des éléments économiques, sociaux, politiques mais pas forcément une histoire culturelle. On a aucun élément sur le mode de vie des populations qui n’avaient pas le droit de cité dans les écrits si ce n’est d’un seul regard, les populations qui n’étaient pas hiérarchisées... L’Histoire de La Réunion pourrait trouver une nouvelle vision avec l’archéologie si on en apprenait davantage sur l’histoire des mœurs, de la vie de monsieur tout le monde."
La Journée du Patrimoine est là pour attester, à travers les expositions d’objets lontan, les ateliers intergénérationnels, que la population est en demande, veut en savoir plus sur la façon de vivre de nos grands-parents, sur leur histoire, mais cela s’arrête-là. Avec l’investissement des associations, ces journées permettent "de combler un peu ce manque, mais il n’est pas question pour l’heure d’une programmation à grande échelle", déplore Eric Kichenapanaidou.

Les Frances culturelles

"Si la législation sur la protection du patrimoine était appliquée, on aurait à voir disparaître tous les jours des pans de notre Histoire", déplore l’archéologue. En France, à la mise en route des grands chantiers d’aménagement, les aménageurs interpellent les autorités en cas de découverte de vestiges à caractère historique. L’Institut National de Recherche Archéologique est alors mandaté pour des fouilles visant à sauvegarder le patrimoine en péril. Cela représente 90% du travail de recherche, les 10% restant étant répartis entre le CNRS, les services archéologiques des départements, régions, communes et auprès des musées. "On a rien de tout ça ici. Pas de fouille de sauvetage. On essaie par le biais des associations de travailler sur des fouilles, mais trois semaines dans l’année c’est très insuffisant." Ni structure ni vision de l’archéologie réunionnaise aujourd’hui. "Dans d’autres pays, il existe des politiques culturelles qui s’intéressent à tout ce qui permettra de renforcer la conscience collective de faire partie d’une nation, explique Eric. Ici, on ne veut pas considérer La Réunion comme une nation. Certes. Mais depuis 1981, la politique culturelle de la France a changé. Jack Lang en s’adressant aux représentants de chaque DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) a dit qu’on allait plus parler d’“une” mais “des Frances” culturelles !"
Le frein au développement de l’archéologie reposerait sur une question plus large en lien avec la culture selon Eric Kichenapanaidou, à savoir "le problème de l’identité réunionnaise."

Entre latrines et dépôts d’ordures

À Saint-Paul, berceau du peuplement de l’île, la Fontaine des Prêtres a été en partie détruite dans les années 70 avec la construction de la route digue. La bâtisse Maison Rouge (reconvertie en cabanon pour les engagés de 1848 à 1939) sert de dépôt d’ordures, La Poudrière (le plus ancien bâtiment construit à La Réunion) sert quant à lui de latrines... "sans porter d’accusation directe, ces sites reçoivent un minimum d’entretien pour la Journée du Patrimoine, mais au vu du soin qui leur est porté au quotidien, cela prouve à quel niveau est placée l’Histoire de La Réunion"
Pour Eric Kichenapanaidou, "on est dans une situation d’urgence. Avec tous les grands chantiers en construction, on assiste à une perte de nos vestiges et de notre patrimoine." Après des études à La Sorbonne, un cursus universitaire et des recherches menées en métropole durant 10 ans, Eric Kichenapanaidou a préféré rentrer au pays dans l’espoir que l’archéologie réunionnaise prendrait vie. Sans une véritable volonté politique, une prise de conscience collective forte, notre patrimoine, loin de la rue de Paris, finira aux oubliettes, sous le poids des tractopelles et des engins de (dé)construction.

Stéphanie Longeras
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