À la recherche d’une partie des origines du peuple réunionnais

Opération portes ouvertes, de Pondichéry à la Grande Chaloupe

1er février 2010

Dans le cadre du Festival Bonjour India, l’Institut Français de Pondichéry accueille en ce moment l’exposition “Le Lazaret de la Grande Chaloupe, porte d’un nouveau monde”, fruit du travail conjoint de Jean Barbier, conservateur du Musée de Villèle, et de Michèle Marimoutou, doctorante en Histoire contemporaine. Cette exposition sur l’histoire des migrations du XIXe siècle qui ont façonné la société réunionnaise complète et prolonge les diverses actions menées il y a une dizaine de jours par le Comité Pondichéry 2010.

Le retour sur l’histoire et les lieux de l’engagisme, retraçant le trajet des engagés indiens, depuis leur embarquement jusqu’à leur débarquement à la Grande Chaloupe, a peut-être permis de refermer la boucle des lieux symboliques qui ont marqué l’histoire réunionnaise.
Si La Réunion est bien consciente de son lazaret devenu monument historique de France en 1998, qui se souvient encore à Pondichéry des douze entrepôts construits vers 1860 qui ont vu transiter les engagés indiens en partance vers La Réunion ? Alignés sur un côté du boulevard Subbayash Salai, dans le prolongement de l’avenue Goubert qui borde le front de mer, les entrepôts se remarquent à peine depuis la rue passante et bruyante. Si l’on y prête attention, on distingue nettement les bâtiments 11 et 12 à l’abandon et la façade de certains autres, cachés par des portails peu entretenus, eux-mêmes envahis de broussailles.
Pourtant, leur construction sommaire, massive et identique, et leur numérotation encore visible rappellent d’une certaine façon les images de baraquements de “camps” que l’on connaît. Quelques entrepôts ont été reconvertis en commerces, entreprises ou en caserne de pompiers. Le flou demeure quant à l’histoire des entrepôts, « c’est un vieux bâtiment qui a été construit par les Anglais », affirme un pompier.
Après avoir été emmenés dans ces baraquements pour 10 ou 15 roupies, les engagés attendaient, coupés du monde extérieur, qu’on vienne les chercher pour les embarquer sur des chaloupes qui les amenaient alors plus loin en mer vers leurs navires. Si la plupart des engagés étaient volontaires, à la recherche d’une vie meilleure, fuyant les famines des campagnes ou le système de castes, certains se sont retrouvés piégés par des dettes, employés de force, ou vendus par des proches dans une minorité de cas.

117.813 Indiens officiellement enregistrés

L’histoire du débarquement des engagés à la Grande Chaloupe est ensuite connue, l’exposition “Le Lazaret de la Grande Chaloupe, porte d’un nouveau monde” à l’Institut Français de Pondichéry ne manque pas d’apporter des informations très fouillées, constituées de documents et croquis d’époque sur le sujet.
Le visiteur a l’opportunité de se figurer un réel contrat d’engagé et bénéficier d’explications annexes précises. Ainsi, une enquête menée en 1877 à la demande du Consul britannique montre (ou plutôt confirme ?) que les termes des contrats ne sont pas toujours respectés, les salaires versés irrégulièrement, la durée des engagements rallongée ou encore les rapatriements mal organisés. La politique sanitaire à l’arrivée des navires visant à éviter les épidémies est aussi très détaillée. Existant depuis 1780, la quarantaine est systématisée lorsque l’engagisme fait suite à l’esclavage, avec la construction du lazaret de la Grande Chaloupe en 1860. A l’arrivée, les engagés sont comptés par le médecin. Leur numéro d’ordre au départ de l’Inde, leur nom, leur filiation, leur date d’arrivée sont consignés dans un registre. Après avoir reçu une natte et une couverture, les hommes sont séparés des femmes et des enfants. Officiellement, les services de l’Immigration au XIXème siècle ont enregistré 117.813 Indiens. Quelques dates marquent aussi l’attention du visiteur, comme celle de 1889 où une loi permet aux enfants d’engagés nés à La Réunion d’obtenir la nationalité française. Les derniers engagés à transiter par le lazaret de la Grande Chaloupe sont des Malgaches en 1922 et Rodriguais en 1933.

« Le système de castes, pire que l’esclavage »

Outre sa pertinence historique et culturelle, cette exposition a aussi le mérite de lever le voile sur un certain flou ou méconnaissance du côté indien.
Léo, Pondichérien, a trouvé la connexion Réunion-France-Inde intéressante « parce que nous n’en savions pas grand-chose, admet-il. Les Pondichériens devraient venir, les scolaires devraient amener leurs parents ». Léo a surtout été marqué par le système de quarantaine. « J’ai été assez choqué de voir les quartiers d’isolement. Ces gens ont été emmenés pour une raison particulière — travailler — et n’ont pas toujours été traités correctement. Pour la nouvelle génération, c’est important d’insister sur l’égalité, tout le monde devrait être égal ».
Ce qui n’est finalement pas évident, quand aujourd’hui encore, des inégalités face aux conditions de travail demeurent en Inde et ailleurs dans le monde. « Le système d’exploitation de l’Homme est non négligeable en Inde. Cela existe, cela ne veut pas dire que les gens approuvent », commente Animesh Rai, originaire de Delhi, auteur d’une thèse sur le processus de créolisation à travers trois siècles de présence française en Inde. « Le système des castes est pire que l’esclavage », affirme-t-il en citant Jacques Weber, car l’esclavage, une fois aboli, n’existait plus, « le système des castes, on ne peut pas s’en défaire », déplore-t-il.

Pour Jenni, Pondichérienne, jeune Indienne de 21 ans, l’exposition a permis d’éclaircir quelques points sur l’engagisme. « Je croyais que c’étaient des esclaves. Je pensais qu’ils étaient emmenés de force. Maintenant, je sais qu’il y avait un contrat ». La jeune Indienne poursuit : « Cela dit, on n’amène pas un peuple d’une terre à une autre par charité, il y a toujours une cause économique, le terme est un peu fort, mais quelque part, ils étaient esclaves, les contrats étaient vendus ». Si l’exposition lui a fait découvrir « une autre communauté qui porte la même culture », Jenni s’interroge aussi sur sa finalité. Ne serait-ce pas une façon de « dire pardon aux Indiens ? ».

Quoi qu’il en soit, pour Animesh, le colloque international sur la diaspora indienne, organisé par les Universités de La Réunion et de Pondichéry du 20 au 22 janvier dernier, et l’exposition à l’Institut Français ont montré l’évolution du gouvernement indien par rapport à sa diaspora. « Auparavant, le gouvernement s’intéressait peu à sa diaspora. Maintenant, la politique est “adaptez-vous aux pays où vous êtes, mais n’oubliez pas vos traditions”, note-t-il. Le retour aux sources est encouragé ».

De Pondichéry, Anne-Line Siegler

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