Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise

’Partir des différences et en faire la synthèse’

21 janvier 2005

Bruits des marchés, paroles du quotidien, odeurs, bornes interactives... La future Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise (M.C.U.R.), à Plateau-Caillou (Saint-Paul), permettra à chaque Réunionnais(e) de transmettre à ses enfants la fierté de ses origines, qu’elles soient issues de l’esclavage ou de la colonisation. Car le mouvement de créolisation de notre société fait le lien entre nos civilisations fondatrices.

(Pages 4 et 5)

"On ne nous forcera pas à choisir entre nos origines", affirmait déjà Paul Vergès au début des années 60. Cette déclaration de l’actuel président de la Région Réunion portait déjà en germe l’idée de la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise. Elle introduisait les thèmes de la pluralité des origines, des égalités et diversités cultuelles et culturelles, amorçait le processus de construction du peuple réunionnais.

Dans un contexte de guerre froide, de lutte pour la décolonisation, avant même les débats sur la langue créole, la société, la culture ou encore l’histoire réunionnaises, cette idée novatrice introduite par Paul Vergès était largement en avance sur les réflexions de l’époque.

Quarante ans après, l’idée d’une Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise répond aux désirs d’unité et d’affirmation des différences culturelles qui mobilisent la société réunionnaise aujourd’hui, ainsi qu’aux devoirs de réparation et de restitution.

Un défi, une urgence

Multiculturelle, multi-religieuse, créolophone et francophone : l’expression de la diversité réunionnaise est aujourd’hui menacée par la mondialisation accélérée et son économie libérale dévastatrice. Cette marchandisation du monde n’épargne pas la culture, et ce sont les cultures dites “minoritaires”, comme la nôtre, qui sont en premier lieu atteintes.

La Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise, qui se positionne fermement contre l’atteinte à la diversité et à ses expressions, souhaite impulser une réflexion sur l’avenir de la culture réunionnaise. Bien que constituée dans la violence, dans des rapports d’inégalités sociales et culturelles qui n’ont pas encore été totalement corrigés, composée de personnes d’origine géographique et de culture extrêmement différentes, la société réunionnaise a su adapter et adopter de nouvelles pratiques et expressions.

Pratique des religions dans le respect de la laïcité, humanisme, résistance à la xénophobie, tolérance : le peuple réunionnais a créé une culture, une langue créole, des manières de penser le monde, l’espace et le temps.

Face aux défis de notre temps, la société réunionnaise doit protéger sa diversité, s’imprégner davantage de ses irrigations culturelles extérieures pour renforcer son unité, son lien social et ne pas se fondre dans une pensée unique guidée par la modernité occidentale.

Riche de ses mémoires, de ses multiples héritages, pratiques, perceptions, croyances et vécues, La Réunion est un carrefour de civilisations dont l’identité est toujours en construction et dont le premier bâtisseur est le Réunionnais.

"Sans nostalgie de nos racines"

En juillet 1999, le président de la Région Réunion présente la philosophie et les bases du projet de Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise (MCUR) : "Voilà l’objectif de cette Maison : partir des différences et en faire la synthèse. Voilà le contenu de la Maison, ce n’est pas un musée ou l’on vient regarder le passé, c’est quelque chose de vivant".

En offrant un lieu d’échanges et de débats, la MCUR souhaite que la société réunionnaise entreprenne un travail de réflexion critique sur elle-même, qu’elle puisse exprimer et confronter librement ses différences afin de poursuivre le processus de démocratisation et d’unification de notre société, en vue d’un développement plus apaisé.

"L’objectif central de la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise est d’essayer de construire un espace de savoir et de création et de proposer des débats autour de l’interculturalité, car la prise en compte de la diversité culturelle est le fondement de l’unité réunionnaise", explique Carpanin Marimoutou, chargé de mission pour la MCUR et professeur de littératures à l’université.

Le discours dominant a tenté de faire croire que les civilisations fondatrices n’existaient pas à La Réunion, que les esclaves ou engagés arrivés sur l’île n’étaient pas porteurs de ces civilisations. La MCUR souhaite démontrer que le mouvement de créolisation de notre société fait le lien entre nos civilisations fondatrices.

Son objectif est novateur car elle propose une mise en perspective du passé à partir du présent, sans "nostalgie de nos racines, mais au contraire, en montrant que l’échange nous a donné une capacité de vision beaucoup plus universelle", expliquent Françoise Vergès et Jean-Claude Carpanin Marimoutou, chargés de mission auprès du Cabinet Région Réunion pour la MCUR. Mais comment la Maison des civilisations souhaite-t-elle favoriser l’expression de cette diversité et de l’inter-culturalité propre à La Réunion ?

Interactivité

La MCUR ne sera pas un musée au sens classique du terme, mais bien un musée de civilisations qui donnera à voir des processus et des pratiques (à travers des films, des objets, l’utilisation des nouvelles technologies...) "Elle n’a pas vocation à prendre la place de ce qui existe déjà ni à faire ce que d’autres peuvent faire", précise Carpanin Marimoutou.

Son but n’est pas non plus de donner à voir notre patrimoine pour en figer ses richesses, mais bien de faire vivre et de transmettre cette inter-culturalité qui a et continue de façonner notre société. Lieu d’expositions, de débats, de confrontations, d’interprétations, mais aussi de propositions, d’actions, de réparations, de ré-appropriations, de restitutions : la MCUR veut proposer une dynamique critique et régénératrice où les Réunionnais pourront faire une introspection dans le développement de leur culture et de leur société.

Colloques, conférences, séminaires, expositions, commandes de travaux, rencontres, spectacles, emploi des nouvelles technologies de communication... : la MCUR fera usage de tous ces outils pour mettre en lumière les valeurs de la culture réunionnaise. L’exposition permanente intégrera le territoire physique réunionnais comme axe de réflexion sur son passé, présent et devenir.

Elle fera appel aux technologies de pointe afin de laisser libre cours à l’imagination du visiteur, plongé dans un autre espace, un autre temps avec des outils de ré-interprétation à sa disposition (bruits des marchés, paroles du quotidien, odeurs, bornes interactives.)

De la place pour tous

Elle sera dans un premier temps renforcée par la saison culturelle afin de répondre à la demande des Réunionnaises et Réunionnais de se réapproprier leur monde, de leur redonner la fierté de ce qu’ils ont créé. L’exposition temporaire regroupera quant à elle un espace pour l’art contemporain et des espaces d’expositions à thèmes où seront programmées les expressions réunionnaises et des pays de l’océan Indien. Le renforcement des liens avec les pays de la zone océan Indien (déjà amorcé par la Région Réunion) permettra de multiplier les échanges, de soutenir les projets de coopération régionale culturelle, de défendre la diversité culturelle, mais aussi de resituer La Réunion dans son environnement, elle qui n’apparaissait pas du tout sur la route de l’esclavage dans l’océan Indien tracée par l’UNESCO.

La MCUR prévoit aussi de laisser une place aux nouvelles formes artistiques (danse, art contemporain, musique) qui renouvellent la tradition ou s’en emparent en introduisant de nouvelles approches de la condition et des sensibilités réunionnaises. Un programme pédagogique tiendra aussi une place importante.

Enfin, la MCUR doit penser à une maison de publications et à une maison de production.

Estéfany

(Avec le concours de Françoise Vergès et Carpanin Marimoutou)


"Amender, discuter, critiquer"

En 2003, Françoise Vergès, professeur de sciences politiques à Londres, et Carpanin Marimoutou sont recrutés comme chargés de mission pour la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise. "Notre action principale consiste à réfléchir au programme scientifique et culturel de la MCUR", explique Carpanin Marimoutou.

En élaborant des partenariats avec des universités, des associations du monde entier, en assistant à des rencontres de chercheurs, les deux chargés de mission de la MCUR élaborent les grandes lignes philosophiques et politiques (“au sens noble du terme”) du projet.

Après d’ultimes corrections intervenues en 2004, le texte tapuscrit du programme scientifique et culturel de la MCUR, après avoir été soumis aux Commissions permanentes et plénières de la Région Réunion, doit faire l’objet d’un livre en version française puis anglaise qui servira de base de discussion, y compris auprès de la population réunionnaise grâce à un résumé en 10-15 points.

C’est à partir de ce document que vont être organisées en 2005, de nouvelles rencontres avec les associations, les institutions et les citoyens réunionnais pour "amender, discuter, critiquer" ce programme qui servira de base au cahier des charges, répondant ainsi à la volonté du président Vergès de mener une large réflexion en amont.

Alors que la MCUR, en tant qu’espace architectural n’existe pas encore, les deux chargés de mission ont également à mener des actions de préfiguration, tels que des colloques, des conférences comme celles que poursuit l’AMCUR, des rencontres avec les institutions (Parc national des Hauts, Direction régionale des affaires culturelles, Territoire des communes de l’Ouest....).

La venue du ministre de la Culture du Mozambique en décembre 2003, le projet de monument aux Lazarets de la Grande-Chaloupe, les stèles de Fort-Dauphin marquant le point de départ des premiers esclaves malgaches arrivés à La Réunion, ou encore, la création du titre “Zarboutan Nout Kiltir” (voir encadré), décerné en 2004 par l’AMCUR à titre posthume au Rwa Kaf, etc., toutes ces actions s’inscrivent dans le fil conducteur du projet MCUR.


En gestation depuis l’an 2000

En 2000 et comme le veut la loi, une étude est lancée au plan régional par un cabinet d’études français. Un questionnaire est envoyé à des centaines de représentants culturels et cultuels. Des rencontres sont également organisées avec les responsables d’équipements culturels et des institutions muséales de l’île. Un Comité scientifique de pilotage est alors créé. Il participe aux séminaires de préfiguration de la MCUR.

En décembre 2001, le colloque “Diversité culturelle et identité réunionnaise”, dont les actes ont été publiés en 2002, constitue une étape importante du projet. Un comité de parrainage composé de personnalités du monde entier (Aimé Césaire, Stuart All, Michael Gorbatchev, Abdou Diouf...) voit le jour. Le président Vergès rencontre le président de l’UNESCO pour la culture à Paris.

2002 : l’Association pour la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise (AMCUR) est créée. Son rôle est de faire connaître le projet auprès de la population et d’organiser des actions de préfiguration. Le projet MCUR est voté en assemblée plénière du Conseil régional.

En 2003, les rapports d’étude architecturale et muséographique sont rendus et les deux chargés de mission pour la MCUR recrutés. Après une série d’échanges entre le Mozambique et La Réunion, une convention entre le président de la Région Réunion et le vice-ministre de la Culture du Mozambique est signée. Conférences-débats organisées par l’AMCUR autour du thème “héritages et perspectives”, projection autour de la problématique culturelle, colloque “Racines et itinéraires de l’unité réunionnaise” : l’année est riche d’échanges et de réflexions. Un appel à candidature internationale pour recruter un chef de projet et un programme de recherche pluriannuel MCUR-Université océan Indien sur les sociétés et cultures de l’océan Indien sont alors lancés.

En 2004, les candidats au poste de chef de projet sont auditionnés, à Paris puis à La Réunion. Ancien élève de l’Ecole nationale d’administration, haut fonctionnaire lié au ministère, un Réunionnais a déjà été choisi. Il aura à fédérer toutes les énergies pour la mise en place concrète de l’AMCUR. Françoise Vergès et Carpanin Marimoutou se rendent à Maurice dans le cadre de l’année de l’esclavage. Ils y rencontrent les institutions culturelles et le ministre de la Culture mauricien.

2005 : en ce début d’année, les premières observations de l’État devraient intervenir suite à la présentation du projet final.


Le Rwa Kaf, premier “Zarboutan nout kiltir”

“Zarboutan nout kiltir” : l’objectif de ce titre est de reconnaître le rôle majeur, incontournable, joué par un ou une Réunionnaise dans le domaine du patrimoine culturel immatériel, de reconnaître sa place émérite dans le travail de conservation, de transmission et de création de ce patrimoine. Cette récompense honorifique a été remise pour la première fois à titre posthume au Rwa Kaf, chanteur, maloyèr, conteur et spécialiste botanique. À terme, ce titre sera décerné à partir d’une liste proposée et ce sont les futurs membres du conseil d’orientation de la MCUR qui choisiront, après enquête, parmi les personnes issues de la tradition de l’expression orale, des arts du spectacle, des rituels et événements festifs, parmi ceux qui possèdent des connaissances et des pratiques universelles, ou encore un savoir-faire lié à l’artisanat. Au Japon, l’on parle de “Trésor national vivant”, à La Réunion, de “Zarboutan nout kiltir”.


350 millions d’euros pour inventer l’avenir

Saint-Paul est le lieu ou nos premiers ancêtres se sont établis. Après avoir retenu le site du Bernica, c’est donc sur un espace total de 50 hectares à Plateau-Caillou que la MCUR s’implantera finalement. Après le concours d’architectes lancé en 2005, la première pierre de la MCUR devrait être posée fin 2006, "si tout se passe bien", souligne Carpanin Marimoutou.

Les études de prix portent sur un projet actuel et optionnel de 350 millions, avec le concours de subventions pour équipement culturel de la part de l’État et de l’Europe. Ces subventions ne peuvent être dévolues qu’à ce type de projet sans transfert possible vers d’autres domaines, sans quoi elles seront tout simplement supprimées.

Face au devoir de mémoire envers 60.000 esclaves et 100.000 engagés, la Région Réunion considère que la culture, qui a une place prépondérante dans le développement futur de La Réunion, est aussi importante que l’économie. Enfin, la MCUR s’adresse aux Réunionnais, aux visiteurs, à toutes celles et ceux qui veulent comprendre le présent et inventer l’avenir en connaissant le passé.


Un formidable outil de développement

Québec, Marseille, Australie, etc. : aucun équipement culturel au monde ne ressemble à ce projet unique de la MCUR, de dimension internationale. "C’est extraordinaire dans une petite île comme La Réunion de proposer une nouvelle conception, une autre vision de la réalité culturelle", s’enthousiasme Carpanin Marimoutou. Un projet qui offre un outil de développement pour le pays d’une part, et de façon immédiate, en donnant du travail aux Réunionnais (sous-traitance, tourisme...) d’autre part, parce qu’il va leur permettre "la conscience concrète de leurs valeurs, de la valeur de leur culture, de leur présence au monde, de l’extrême richesse qui est la leur", explique le chargé de mission de la MCUR. C’est en impulsant cette réflexion, ce travail d’introspection comme de projection que le peuple réunionnais sera amené à "davantage de confiance, de certitude, à se positionner, se mettre debout".


La culture dans le développement durable des P.E.I.D.

Lors de la conférence des Petits États insulaires qui s’est dernièrement tenue à Maurice, la culture a siégé aux côtés de questions d’ordre économique et social (voir “Témoignages” du 17 janvier). Les PEID, conscients de la richesse de leur diversité culturelle, souhaitent en faire un atout de développement favorable à l’épanouissement humain, au renforcement de leur identité pour lutter contre la menace mondialiste uniformisante.

La deuxième journée de la réunion internationale chargée d’examiner l’application du Programme d’action pour le développement durable des Petits États insulaires en développement a été l’occasion d’entendre plusieurs ministres, experts, représentants d’institutions régionales et d’organismes des Nations-unies.

Ce débat a permis de mettre en exergue le rôle majeur de la culture dans la vie des peuples des PEID. La préservation des ressources naturelles n’est pas le seul axe du processus de développement durable, la question de l’intégration de la culture et de la protection du patrimoine doit s’inscrire clairement dans ce concept, pour l’avenir des PEID.


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