Rencontre Jean-Marie Le Clézio et Paul Vergès

Pays “émergents”, mondialisation et diversité culturelle

23 avril 2004

La rencontre qui a eu lieu hier aux Argonautes (Saline-les-Bains), où se déroule la 9ème Université de la communication de l’océan Indien (U.C.O.I.), était à plusieurs titres exceptionnelle : Jean-Marie Le Clézio et Paul Vergès - le poète et le politique - ont pris part à un échange de vues et un débat sur le thème « mondialisation des cultures : le souffle des pays émergents ».
Chacun avait a priori ses préoccupations, ses priorités, qui se sont entrecroisées et mêlées au fil de l’échange : l’écrivain, dans sa défense des langues orales et minoritaires, rejoignait presque un discours à tonalité politique, tandis que le politique rompu à l’analyse d’un monde chaotique s’envolait sur les ailes du temps pour décrire la crise de civilisation d’un modèle condamné et imaginer la préfiguration de l’humanité future.
Dans cinq ou six siècles, aura-t-on préservé les cultures minoritaires et les peuples sans langue écrite ? Et comment ces richesses culturelles peuvent-elles être un appui dans les luttes actuelles générées par une “mondialisation” aveugle et dévorante ?

La rencontre organisée hier matin, dans le cadre de l’UCOI, était exceptionnelle à plus d’un titre : Paul Vergès et Jean Marie Le Clézio, "le poète et le politique" comme les a présentés Marie-Josée Alié, journaliste à RFO Paris, se sont rencontrés sur le thème "Mondialisation des cultures : le souffle des pays émergents". Entre l’homme politique réunionnais, sénateur et président de Région et l’écrivain mauricien d’ordinaire si rétif devant le politique, il y avait plus qu’une complicité : une vraie convergence sur l’essentiel pimentée de manières différentes de voir et d’exprimer le monde auquel ils appartiennent.
Que faut-il entendre par “mondialisation” et, puisque beaucoup s’accordent à dire que cette mondialisation n’est pas la première dans l’histoire, quelle est sa marque, sa spécificité ? Quel rapport entretient-elle avec les identités politiques, linguistiques, culturelles des peuples - et particulièrement des peuples minorés, dominés ? De quels moyens disposent ces derniers pour se faire entendre et respecter ? Doivent-ils être “optimistes”, “pessimistes” ou “lucides” ? Et pour quelles causes ?
Les deux hommes ont en commun d’avoir "une voix qui porte" à l’échelle planétaire, et pourtant... La force du “rouleau compresseur” est telle que les chercheurs d’alternative en arrivent à douter d’eux-mêmes, de la réalité de ce qu’ils proposent et de la possibilité d’être entendus.

L’entrée forcée dans “l’universel”

Jean-Marie Le Clézio évoque la douleur d’écrivains, telle cette amie inuit, “condamnée” à publier en français pour être lue et accablée de la perte que représente à ses yeux l’entrée forcée dans “l’universel” par l‘intermédiaire d’une langue qui traduit si mal ce qu’elle dit dans la sienne.
Pour Paul Vergès, la transition démographique et les changements climatiques, confrontés aux exigences contradictoires de la mondialisation, vont créer les conditions de transformations profondes du modèle dominant : ce modèle n’est pas en mesure d’assurer le développement des pays émergents qui aspirent à une juste amélioration de leurs conditions d’existence. D’où la "crise de civilisation" qui met l’humanité devant l’urgente nécessité d’une "prise de conscience universelle". Le sommet de Rio constitue à ses yeux "un grand acte de civilisation", complété en 1999 par l’appel de Nouméa pour la prise en compte de la diversité culturelle, lancé par Marie-Claude Tjibaou et Paul Vergès, lors de la première université de la communication du Pacifique.
Dans le chaos actuel, les raisons de rester “optimiste” sont, pour Le Clézio, la prise de conscience qui aujourd’hui permet d’exposer au grand jour, d’analyser, de critiquer tout un processus qui auparavant s’accomplissait dans l’ombre et dans le silence des peuples. La préservation de la planète et de sa diversité biologique ont été longtemps des revendications étouffées, qui font aujourd’hui l’objet de programmes d’actions dont les peuples peuvent se saisir pour refuser les conséquences les plus dangereuses d’une mondialisation aveugle.

"Jeter des ponts" vers les générations futures

Son rôle d’écrivain ? Jean-Marie Le Clézio le situe dans le fait de "jeter des ponts" vers les générations futures, pour qu’elles corrigent les erreurs commises. Il est moins optimiste pour la diversité linguistique, appauvrie chaque année par la disparition de plusieurs langues orales à travers la planète.
Comment ne pas s’interroger aussi sur le “silence tonitruant” qui a suivi l’appel de Nouméa ? Les dirigeants français, interpellés au sommet de l’État, sur la tenue à Paris d’un "Rio de la culture", auraient accueilli la proposition par un silence - approbateur, dit Paul Vergès - suivi d’un "Ça va coûter beaucoup d’argent". On attend sa traduction-péi en nombre de chauffe-eau solaires...
À la confluence de la recherche d’un nouveau modèle de développement et de l’affirmation d’identités ouvertes sur le monde dans l’expression de leur différence, prend place le projet de Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise, comme outil primordial de “laboratoire du futur”. Paul Vergès l’a bien sûr évoqué, dans sa double dimension culturelle - dans une île qui "préfigure peut-être ce que sera l’humanité dans cinq siècles" - et démocratique.

P. David


Concours “Soft qui peut” : remise des prix ce soir
Derrière le stand de la Région, sur le site des Argonautes où se déroule la 9ème UCOI, des lycéens se concentrent sur l’épreuve finale - un marathon de 24 heures qui prend fin ce matin- du concours “Soft qui peut”. L’épreuve finale des collégiens a pris fin mercredi, remportée par le collège du Gol. Les travaux des finalistes sont accessibles pendant la durée de l’UCOI sur http://sqp.ac-reunion.fr/sqp2004/final. La mission des finalistes consistait à créer un site web.
Une trentaine d’établissements (plus de collèges que de lycées), ont pris part aux épreuves éliminatoires, remportées par cinq collèges et cinq lycées d’où émergera le lauréat académique. Le concours se double d’une rencontre internationale, avec Madagascar, appelée “soft i” (pour International). Madagascar, lauréat 2003, a remis son titre en jeu. Les prix seront remis ce soir aux lauréats de “soft qui peut” et de “soft i”.

Cinéma, audio-visuel, multimédia : parution d’un guide professionnel 2004
Dans les efforts déployés depuis quelques années pour développer dans l’île une industrie de production audio-visuelle, multimédia et cinématographique, un partenariat s’est noué entre l’État et la Région pour la formation et l’accompagnement de la filière. Il s’est traduit par la création, en 2001, de l’association pour le développement du cinéma, de l’audio-visuel et du multimédia (ADCAM), qui a le soutien du CNC et de la Région dans ses missions d’accompagnement des politiques publiques et des professionnels.
Hier, dans le cadre de l’UCOI, ces partenaires étaient réunis autour du premier annuaire professionnel qu’ils ont édité et présenté ensemble. Cet outil a cherché à réunir les éléments indispensables à la connaissance des ressources et compétences réunionnaises dans tous les domaines utiles (emploi, location de matériel, sites et paysages, démarches administratives, adresses...). Il a été conçu et réalisé par l’ADCAM pour répondre aux besoins des professionnels de la filière et comporte des informations sur les aides publiques, un répertoire des professionnels, du réseau de diffusion des œuvres et des filières de formation.


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