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Plaidoyer pour l’interculturel
Tribune libre de Reynolds Michel
mercredi 26 juillet 2006
Voici le second volet du “plaidoyer” de Reynolds Michel pour l’interculturel, avec des intertitres de “Témoignages”. Dans le premier volet publié hier, l’ancien Directeur du CDPS a expliqué les différents enjeux de l’association “Espace pour promouvoir l’interculturel” (EPI), qu’il souhaite constituer prochainement. Aujourd’hui, il nous explique en quoi ce combat se situe dans le cadre de ’la dialectique de la diversité et de l’universalité’.
II - Le partage des valeurs communes
Dans une société multiculturelle et pluriconfessionnelle, notamment en période de crise, il y a toujours le risque de repliement sur des valeurs particulières, voire d’enfermement sur son propre groupe ou communauté, débouchant à terme sur une société d’apartheid, voire sur des guerres civiles. Nous pensons ici à l’Ex-Yougoslavie, au Liban (des années 80), au Kosovo, au Rwanda...
D’où l’importance de promouvoir, à temps et à contretemps, des valeurs communes. D’où l’importance d’articuler diversité et unité.
L’unité et la diversité vont ensemble
La diversité n’est créatrice que si elle s’appuie sur l’unité. Elle sombre au contraire dans la division, dans la prolifération des différences, si elle ne s’accompagne pas d’unité.
À l’inverse, l’unité devient totalitaire si elle nie la diversité (1). Il convient donc de lier dialectiquement la diversité - tout en préservant son essence plurielle - à l’unité.
L’unité est ici entendue comme une unité respectueuse de la diversité et non comme une totalité négatrice des différences. Il convient toujours de bien distinguer unité et totalité, afin d’éviter toute tentation totalitaire (2).
L’interculturel c’est mieux que le multiculturalisme
En privilégiant "l’unité fondamentale des hommes et des femmes en tant qu’êtres humains avant d’explorer leur différence incontournable" (3), l’interculturel permet d’articuler au mieux diversité et unité.
Et donc, de reconnaître le lien entre identités plurielles et patrimoine commun.
Tel n’est pas le cas du multiculturalisme, qui prône "la démarche inverse. On privilégie la différence pour ensuite appeler à l’unité - souvent introuvable !", écrit l’écrivain mauricien Issa Asgarally, auteur de “L’interculturel ou la guerre”(4).
La tolérance ne suffit pas
Prenons autrement le problème. Dans une société multiculturelle - pluralité de groupes d’appartenance - le seul principe abstrait de tolérance ou du respect des différences ne saurait garantir la cohésion sociale.
La tolérance, concept qui renvoie à la simple coexistence entre des individus et des communautés, est, nous semble-t-il, insuffisante pour fonder une gestion positive de la diversité.
Certes, "la tolérance a sans doute été un grand progrès par rapport aux guerres de religion et d’autres chasses aux sorcières qui ont rendu irrespirable, avec la fumée des bûchers, l’air de la civilisation occidentale", comme le souligne Michael Löwy (5), mais elle paraît un peu courte pour fonder le lien social, qui exige, au minimum, la reconnaissance de l’autre comme son égal.
Et le respect ?
Faut-il alors remplacer la tolérance par le respect, concept qui implique un sentiment d’estime et de reconnaissance de l’autre comme son égal ?
Le vivre ensemble exige évidemment le respect de l’autre dans sa différence et la reconnaissance de son égale dignité, mais il implique, en plus, des valeurs partagées et des règles juridiques assumées dans le cadre d’un espace de vie commun (6) .
Autrement dit, si le respect de l’autre dans sa différence est indispensable pour fonder une meilleure cohabitation, il doit être nécessairement accompagné d’une volonté déterminée de partager un système commun de valeurs et de normes.
Partager des valeurs communes
En effet, une société "juste et stable" de citoyens libres et égaux, mais divisés par leurs conceptions du bien et de l’existence, ne peut exister durablement sans partager un certain nombre de valeurs communes à même de fédérer leurs différences, tout en s’accordant sur certaines normes communes (7) .
Donc, à la fois la reconnaissance et la protection de la diversité et de la spécificité des cultures en même temps que la reconnaissance de valeurs et de normes qui, dans une société, transcendent cette diversité et ces spécificités culturelles.
L’articulation est certes difficile, mais elle est indispensable pour la bonne marche de la société globale. L’affaire récente des caricatures du prophète Mohammed montre, au besoin, où peut conduire le refus d’articuler correctement singularité culturelle et principes universels de la modernité (Cf. “Le Monde” et “Libération” du 3 février 2006).
Reynolds Michel
(à suivre...)
(1) Hervé Pasqua, Directeur de l’Institut Universitaire Catholique de Rennes ; documentation en ligne : Serviam-Formation. L’unité ne doit donc pas être confondue avec la totalité négatrice de la diversité.
(2) Doudou Diene, rapporteur spécial sur les Droits de l’Homme à l’ONU, “L’enjeu du dialogue interreligieux”, Colloque organisé par la Fédération protestante, “Entre Dialogue et violence”, 14 septembre 2003. Pour D. Diene, la diversité est "un concept idéologique et historiquement connoté". Elle a été "conçue, pensée et pratiquée comme différence essentielle et comme grille de lecture de la légitimation de la hiérarchie des races, des cultures et des civilisations".
(3) Issa Asgarally, “L’interculturel ou la guerre”, Edit. MSM, Port-Louis, Ile-Maurice, 2005, P. 113-114.
(4) Ibid. p. 13-14. Pour l’auteur, le multiculturalisme est une simple juxtaposition ou mosaïque de cultures, de modes de vie... Certes, il est préférable à l’affrontement inter-ethnique, mais "nous ne pouvons plus nous contenter du multiculturalisme, car il peut devenir l’antichambre de l’ethnicisme". Ibidem, p. 21.
(5) Michael Löwy, Sociologue et Directeur de recherche au CNRS, cité par A. Laignel-Lavastine, “Le Monde”, vendredi 8 novembre 2002.
(6) Michel Giraud , CNRS, “L’approche interculturelle, faux débats et vrais enjeux”, in “Migrants-Formations”, n° 102/septembre 1995, p. 63-64.
(7) Ibid. Cf. “L’approche contractualiste de la justice de John Rawls” ; Jean-Claude Guillebaud, “Un monde en recherche d’universel”, “La Croix” du 2 décembre 2002.