La conférence d’André Oraison à l’Université le 14 novembre 2013

« Plaidoyer pour la fusion de la Région et du Département de La Réunion »

19 novembre 2013

Jeudi dernier, dans l’amphi Élie à l’Université du Moufia, André Oraison a tenu une conférence-débat dans le cadre des ’Jeudis de la Faculté des Lettres’ organisés notamment par l’historien et directeur de la Chaire UNESCO à l’Université de La Réunion, Sudel Fuma, qui a ouvert la séance. Le thème de cette conférence d’André Oraison, Professeur des Universités (enseignant en Droit public à l’Université de La Réunion de 1967 à 2008), était le suivant : « Plaidoyer pour la fusion de la Région et du Département de La Réunion ». Son exposé a été suivi d’échanges très intéressants avec le public, qui a beaucoup approuvé les propositions et les arguments de l’universitaire. Nous commençons ci-après la publication du texte intégral de cet exposé, que nous a transmis le professeur.

André Oraison, lors de sa conférence : « Ne rien faire au plan institutionnel alors que la situation s’aggrave, c’est programmer l’implosion de La Réunion. Voici peut-être le pire des scénarios catastrophes ».

Avec Paul Vergès, sénateur PCR, et malgré le refus ou réserves des autres partis politiques locaux, nous pensons que la création d’une collectivité territoriale unique se substituant à la Région et au Département est une réforme nécessaire et urgente à La Réunion.

Depuis plusieurs années, des clignotants rouges sont allumés et peuvent expliquer — sans pour autant les légitimer — les violences urbaines qui perturbent l’île depuis février 2012. De fait, certains chiffres sont très inquiétants.

Il y a d’abord un pourcentage deux fois plus important de chômeurs à La Réunion qu’en Métropole : 170.000 Réunionnais sont inscrits à Pôle Emploi et cherchent du travail, soit 30% de la population en âge de travailler et près de 60% des jeunes de moins de 25 ans. Plus de 42% de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté avec moins de 964 euros mensuels pour une personne seule. Il y a également une pénurie de 25.000 logements sociaux, tandis que 120.000 personnes sont encore illettrées. Il y a enfin le coût de l’existence, qui ne cesse de progresser : la vie est de 30 à 40% plus chère ici qu’en Métropole.

Prises dans l’urgence, certaines solutions sont déjà entrées en vigueur, dès le 1er mars 2012 : baisse du prix de la bouteille de gaz et gel provisoire des prix de 60 articles de première nécessité dans les grandes surfaces. D’autres solutions ont également été envisagées : prime de vie chère de 200 euros versée par l’État aux familles les plus démunies proposée par le PCR, alignement de l’allocation logement au niveau hexagonal, suppression progressive de la surrémunération accordée aux fonctionnaires en poste à La Réunion, réforme en profondeur de l’octroi de mer ou encore double affichage des prix en rayon par la publication du « prix Métropole » à côté du « prix Réunion ».

En raison de l’extrême gravité de la situation, une loi contre la vie chère dans l’ensemble des collectivités territoriales ultramarines a enfin été adoptée en urgence par le Parlement, dès le 20 novembre 2012.

En vérité, aucune contribution ne saurait être écartée en période de crise, notamment au plan statutaire.

À la veille de l’Acte III de la Décentralisation , les cas de la Guyane et de la Martinique sont significatifs. Dans chacun de ces DOM, une collectivité territoriale unique doit se substituer à la Région et au Département afin de permettre à la nouvelle entité d’agir avec une efficacité plus grande.

Convient-il alors d’aller dans la même direction à La Réunion ?

Certes, plusieurs scénarios sont compatibles avec la Constitution de la 5ème République depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003. Encore convient-il de distinguer les scénarios acceptables et les scénarios catastrophes.  [1]

Les scénarios catastrophes

Le scénario de l’indépendance est défendu par des groupuscules — à l’instar du Mouvement pour l’Indépendance de La Réunion (MIR) —, qui se prononcent pour l’accession de l’île à la souveraineté. Mais il ne peut être réalisé qu’à la suite d’un scrutin d’autodétermination des Réunionnais prévu par l’article 53 de la Constitution du 4 octobre 1958 dans son alinéa 3, ainsi rédigé : « Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n’est valable sans le consentement des populations intéressées ».

Ce scénario apocalyptique — scénario Frankenstein, au sens où l’entend notre collègue Mathieu Maisonneuve — serait rejeté par les Réunionnais, qui ne veulent pas jouer à la roulette russe.

Plus soft, le scénario de l’autonomie consiste à faire passer La Réunion du statut de DOM, soumis au principe de l’identité législative en vertu de l’article 73 de la Constitution, à celui de collectivité d’Outre-mer dotée de l’autonomie (COM-DA), assujettie au principe de la spécificité législative en vertu de son article 74. Par la voie référendaire, La Réunion pourrait alors opter pour un régime d’ autonomie proche de celui attribué en 2004 à la Polynésie française [2] ou — scénario plus hard — pour un régime de souveraineté partagée comme c’est le cas en Nouvelle-Calédonie depuis 1998.

Certes, ces statuts reconnaissent un droit à la préférence régionale en matière d’emploi. Mais ils impliquent la remise en cause des acquis sociaux découlant de la départementalisation et la perte du statut de Région ultrapériphérique de l’Union européenne. Comme l’ont déjà fait les Guyanais et les Martiniquais par les consultations populaires du 10 janvier 2010, les Réunionnais rejetteraient ces statuts qui sont en fait l’antichambre de l’indépendance.

Le scénario de l’inertie statutaire consiste enfin à ne rien faire au motif que la crise que connaît La Réunion est passagère et que tout devrait spontanément rentrer dans l’ordre dans quelques années. Mais ne rien faire au plan institutionnel alors que la situation s’aggrave, c’est programmer l’implosion de La Réunion. Voici peut-être le pire des scénarios catastrophes.

Les scénarios acceptables

Le premier scénario acceptable vise à renforcer les pouvoirs des collectivités territoriales existantes. Ce scénario est proposé par Didier Robert.

Certes, le Président UMP du Conseil régional de La Réunion ne remet pas en cause l’architecture statutaire qui remonte à la loi de décentralisation du 31 décembre 1982. Favorable au maintien de la Région et du Département, il souhaite néanmoins des pouvoirs accrus pour ces entités et des moyens financiers correspondants.

Voici son credo : « Le statu quo me convient, avec un Conseil régional et un Conseil général, mais ce qu’il faut revoir, c’est le niveau de compétences des uns et des autres ».  [3]

Ce scénario est en phase avec l’actualité au moment où le Gouvernement socialiste de Jean-Marc Ayrault envisage une décentralisation adaptée pour les collectivités territoriales avec un réaménagement des compétences dévolues aux Conseils régionaux et aux Conseils généraux, dont l’existence n’est pas en principe remise en cause par la réforme en cours.

Le deuxième scénario acceptable vise à remplacer la Région et le Département de La Réunion par une collectivité territoriale unique, soumise au principe de l’identité législative applicable dans les DOM et continuant à être régie par l’article 73 de la Constitution, mais cumulant en droit les compétences des Départements d’Outre-mer (DOM), institués en 1946, et des Régions d’Outre-mer (ROM), créées en 1982. Ce scénario peut encore être amélioré par la suppression de l’alinéa 5 de l’article 73 de la Constitution, qui empêche La Réunion de disposer d’un pouvoir législatif et règlementaire par habilitation — selon le cas — du Parlement ou du Gouvernement.

(à suivre)

Rectificatif

Dans le compte-rendu de la conférence du Groupe de Dialogue Inter-religieux de La Réunion (GDIR) publié samedi dernier par "Témoignages", une erreur a été commise sur le nom de la personne qui est intervenue au nom de la communauté religieuse protestante ; il s’agit de Christiane Rafidinarivo (et non pas "Rasidinarivo"). Nous présentons nos excuses à la Vice-présidente du GDIR.

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