L’improbable vérité d’Ahmed Madani

Plaidoyer pour le théâtre de l’océan Indien

4 juin 2005

Nous avons été les témoins d’une grande promesse de mariage non seulement entre les pays du Sud-Ouest de l’océan Indien, mais aussi entre les deux hémisphères. Nous avons entrevu “l’improbable vérité du monde”, chantier du Centre dramatique de l’océan Indien qui a réuni en mai à Antananarivo une vingtaine de comédiens venus échanger leur vœu, au bout de l’avenue de l’Indépendance, dans les murs mêmes de la gare.

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Pour dire ce qu’est “l’improbable vérité du monde”, il faut dire ce qu’elle n’est pas. Ce chantier n’est pas une entreprise colonialiste. Il n’a pas l’intention d’apporter le théâtre français dans les îles du Sud-Ouest de l’océan Indien. Il ne s’agit à aucun moment d’arriver dans ces pays comme porteur divin de la culture théâtrale française ou européenne. Le premier mérite de ce chantier, ou laboratoire de recherche, est d’avoir une approche réussie qui ne pose aucun problème d’éthique. Ce n’est pas une production. Ce que nous avons vu n’était qu’une restitution dont toute restitution serait vaine. D’autant plus qu’au bout des chantiers naîtra une pièce de théâtre.

Un chantier de théâtre

Qu’est-ce qu’un chantier de théâtre ? Il ne s’agit pas de bizness. Il ne s’agit pas d’aller dans un pays pour en exploiter les forces vives et de choisir ses comédiens comme à une autre époque on a pu piocher des esclaves. Ahmed Madani ne fait qu’exploiter le tréfonds de chaque individualité. Il prend tout ce que le comédien lui donne, il veut en tirer le jus jusqu’à la dernière goutte, sans que cela n’étanche sa soif et sa faim de vie.

Un homme à la hauteur de la structure

Mais en parlant d’Ahmed, nous ne faisons pas que parler de lui. Nous parlons justement du projet. Et nous ne parlons pas d’un simple directeur car les directeurs de centre d’art dramatique, partout en France, ce sont uniquement des artistes, des créateurs, des auteurs. L’actuel directeur a juste le défaut de prendre au mot l’intitulé que les pouvoirs publics ont donné au Théâtre du Grand-Marché : “Centre dramatique de l’océan Indien”. Voilà que la structure trouve un homme à la hauteur de son nom et qui déploie sur notre océan toute la puissance de frappe que nous pouvons dans ce champ de bataille qu’est le développement de la culture et le respect des identités. Est-ce en faire trop que de donner à cette ambition sa juste mesure ?

Regards croisés, langues mêlées

Le titre du chantier ne met pas tant en doute la probabilité de l’existence d’une vérité du monde, que d’affirmer la seule et unique vérité : nous sommes tous des hommes et des femmes. La vérité est improbable parce qu’elle est plurielle. Il y a celle du Comorien et celle du Mahorais français de l’archipel des Comores, celle de la Marocaine parisienne, celles des Mozambicains, des Suisses, des Malgaches... Depuis notre lieu de vie, nous avons des points de vues différents sur le monde, et chaque individu possède un angle de vue à travers lequel nous sommes amenés à voir les vérités et la vérité, la seule, l’unique qui est celle de l’amour qui fait tenir le monde.

Féconder les théâtres de la zone

À la question de savoir s’il n’aurait pas été souhaitable qu’une restitution ait lieu dans chaque pays, Ahmed répond que ce n’est pas l’objectif. Il y a eu d’autres chantiers, dans toutes les îles de l’océan Indien. Ce ne sont pas les mêmes comédiens qui ont participé à l’un et à l’autre. Et pourtant l’expérience qu’ils ont vécue fait que ces comédiens se sont affirmés dans ce qu’ils sont. Il apparaît qu’ils ont gardé des contacts entre eux, qu’ils s’écrivent, qu’ils conçoivent et réalisent des projets ensemble. “Architruc” qui nous a été donné à voir est issu du premier chantier. La rencontre d’Éric et de Myslaine fait que le Téat la Kour et le Théâtre Komiko travaillent aujourd’hui ensemble. L’objectif n’est pas de transplanter tous ces talents ailleurs, ils doivent revenir au pays parce que c’est leur terre. Le but est de les féconder ensemble, que nos insularités se confondent et se confrontent jusqu’à devenir un banian par-dessus l’océan. Poétique ? Non, probable.

Eiffel


Du théâtre aux langues

Hormis le Mozambique, colonisé par les Portugais, tous les pays ayant participé au chantier sont francophones. Cependant, les comédiens rassemblent une dizaine de langues maternelles. Sur scène, toutes ces langues nous sont données à entendre. La langue française permet à tous de communiquer, mais la langue française désigne pour chacun d’eux des réalités qui n’ont pas le même sens.


Un Club d’investisseurs culturels

Le principe du Club d’investisseurs culturels est de regrouper une dizaine de partenaires culturels européens qui se cotiseraient chaque année pour créer un fonds de soutien aux artistes de l’océan Indien et de l’Afrique australe. Il ne s’agirait pas seulement de payer, mais d’être aussi des forces de propositions dans le montage des projets, de mettre en relation les artistiques avec lesquels ces structures sont déjà de connivences, avec des artistes de nos régions, de faciliter la mise en place de tournées, de résidence, de chantiers de recherche et de formation.


Théâtre et "conversations"

Dans le cadre des conférences des Amis de l’Université, Jean-Michel Broustail, professeur de philosophie et auteur dramatique, présentera
Théâtre et "conversations" le mardi 7 juin à 18 heures 15 au Centre culturel ALPHA à Saint-Pierre, avec le soutien du Service culturel de Saint-Pierre.
Si on avait dû attendre la science du levier pour élever des édifices, on habiterait encore des huttes en paille ! À l’instar de Voltaire, on peut se dire que le théâtre n’a pas attendu les philosophes et en particulier Heidegger pour nous parler. Néanmoins, il est possible de trouver dans certains concepts philosophiques et notamment le délaissement de l’être (c’est-à-dire le fait qu’il ne soit accompagné d’aucune notice de fonctionnement comme le sont les lave-linge, magnétoscopes et cafetières...) un éclairage du théâtre de l’absurde et des personnages qui composent la pièce "Conversations".

Pour tous renseignements : 0692.77.49.20


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