Louisette et Elie Grelin et leurs proches vont se baigner dans la Rivière des Roches - un bain de purification après le “servis kabaré” - et proposer aux esprits qui logent là les dernières victuailles laissées par les ancêtres. Des ancêtres tanzaniens et malgaches à qui l’on a rendu hommage aux esprits de la Rivière des Roches, du particulier au général, la boucle est bouclée. Ainsi se termine le très intéressant film de Live Yu-Son, “Servis Kaf”, réalisé dans le cadre de travaux universitaires.
La salle de la médiathèque de Saint-Benoît pleine à craquer - deux cents personnes environ - reste un peu sous le choc des images fortes du rituel du “servis kabaré”. Depuis le sacrifice du bœuf et des coqs dont un blanc "po gaingn la limyèr", souligne Louisette jusqu’à ce bain de purification en passant par la venue des ancêtres, c’est toute une culture trop peu connue qui s’est ainsi livrée.
Rapidement, les témoignages fusent. La tradition du “servis kabaré” reste très forte dans l’Est de l’île. Sandra raconte comment son ancêtre s’est manifesté. "Moin la rant an trans. Li la domann amoin fé servis, akoz i falé fé, kèl moi, koman té falé fé... Moin té blizé fé". Et il a fallu coordonner cela avec le rite hindouiste pratiqué dans la famille. Une autre intervenante explique avoir "été élevé lanndan. Mi san pa moin blizé fé". Elle parle avec conviction de sa foi : "Mon bann zansèt lé la, lé èk moin". Une autre jeune femme indique : "Mon papa té fé servis kabaré. Moin lété inpé d’koté. Moin la ropri".

Créolisation du rituel

Antoinette Bétourné, sociologue d’origine camerounaise, se reconnaît dans les symboliques de cette cérémonie : dans la demande d’adieu, de rachat... dans la danse, dans la musicalité. "Moi qui ait été initiée en Afrique, je me retrouve dans mes principes fondamentaux (...) On se sent véritablement plongée dans l’identité africaine".
Cependant, Louisette souligne que sa pratique "la pa vni tousèl. Larényon napoin sèlman Malgas, néna tout nasyon. Lé métisé. Saminm tout kalité zansèt i vyin". Pour un étudiant en langue et culture malgaches, la cérémonie qu’il vient de voir, "c’est une des traditions malgaches. 17 % de la population pratiquent ces rites ancestraux".
Serge Sinamalé de l’association Simandèf souligne que "néna mil manièr fé sérémoni. Néna in kréolizasyon lo rituel. Domin nora in rolizyon métisé".
Et toute cette diversité du “servis kabaré”, née de l’oralité, pose la question de la transmission. "Une tradition orale est toujours vivante. Elle change avec le temps. On apporte une chose, on en retire une autre", note Live Yu-Son.

"C’est l’amour..."

Mais un jeune homme se demande comment transmettre cette forte tradition a "in marmay lé tout la zourné dovan “canal-satellite” épi lé anfermé dan son baskèt Nike". La réponse est dans le film. Elle repose sur l’importance des femmes dans le rituel du “servis kabaré”. Mais aussi sur la participation des enfants. Et là, les témoignages ne manquent pas : "Nou obliz pa zot. Si bann marmay i yinm, i rèt dodan" ; "Zanfan i aprann ék moin kan mi fé mon servis. Domin zot i fra èk zot prop kèr" ; "Mi tansmèt mon kafrité". Mais c’est une très jeune fille qui apporte le témoignage le plus fort en racontant son vécu. "Mon mémé té fé servis malgas. Moin té dan lanbyans. Sét osi in lédikasyon. Monmon la done amoin lanvi fé an parlan d nout bann zansèt afrikin, malgas. C’est l’amour pour... C’est l’amour".
Le “servis kabaré” est quelque chose de riche qui appartient aux Réunionnais comme l’a noté Jean-Claude et c’est une fierté comme le souligne Georges. Il importe donc de le valoriser. "Cette conférence-débat est une première rencontre. Il y en aura d’autres pour approfondir la question. Il y a une recherche à mettre en place pour comprendre" a promis Serge Sinamalé.

L. M.