Après l’installation à Paris du Comité pour la mémoire de l’esclavage :

« Prendre en compte les apports créatifs des esclaves... »

13 avril 2004

La semaine dernière, la ministre de l’Outre-Mer Brigitte Girardin a installé à Paris le Comité pour la mémoire de l’esclavage, présidé par Maryse Condé. Douze membres vont animer les travaux de ce comité, dont la Réunionnaise Françoise Vergès, jointe par téléphone tard dans la soirée du jeudi 8 avril. Nous publions ici ses impressions de la première journée, qui reviennent sur les missions du comité.

o La création de ce comité a été instituée par la loi. Pourquoi sa mission a-t-elle été si longue à préciser ?

Françoise Vergès : Le comité créé par décret en janvier 2004 s’est réuni pour la première fois les 8 et 9 avril. Le premier comité n’ayant pas été ratifié par un décret comme l’exigeait la loi, le présent gouvernement l’a fait. Les membres ont été choisis par le Premier ministre.
Notre mission, avant tout, est de répondre aux articles du décret : proposer une date commémorative pour la France métropolitaine, faire des propositions de lieux de mémoire, impulser recherche et enseignement et décerner un prix de thèse.

o Quelle action voulez-vous avoir pour affirmer votre “visibilité” ?

- Il est évident que nous devons apparaître comme interlocuteur “moral”, c’est-à-dire que dans les cinq ans à venir, notre travail devra entraîner nécessairement une sensibilisation à la question de la traite et de l’esclavage. Ainsi, il serait de moins en moins possible de publier un dictionnaire de philosophie ou du droit, une histoire de la littérature, de l’art, etc., sans qu’il soit fait état de la figure de l’esclave, des justifications philosophiques et juridiques de son statut...

o Le comité pourra-t-il aller au-delà d’une réparation des représentations qui sont données de l’esclave ?

- Pour moi, il ne s’agit pas simplement de combler un vide - mission en soi extrêmement importante - mais de souligner tout autant les apports des esclaves à la pensée, à l’imaginaire, à la vie. Ces apports sont traditionnellement lus “en négatif” - quand il s’agit de repérer comment la figure du non-libre est toujours là pour l’élaboration de celle du citoyen libre par exemple. Mais il faut prendre en compte aussi les apports créatifs, tels, tout simplement, la formation de sociétés et de cultures originales.

o Par quoi allez-vous commencer ?

- Il faudra faire tout d’abord un état des lieux général, dans tous les domaines. En particulier en ce qui concerne les manuels scolaires, qui sont bien sûr très importants.

o Comment vont être validées vos propositions ?

- Il y aura bien sûr consultation. Le comité doit préciser les modalités de
ces consultations. La date, je le précise, ne met pas en question les dates
respectives dans les sociétés post-esclavagistes (22 mai, 20 décembre, 27
avril, etc.). Elle doit faire date pour la "France métropolitaine" précise
le décret, c’est-à-dire que ce jour-là, dans les écoles et autres lieux de
la France métropolitaine, il y aurait des manifestations (à préciser) qui
mettraient en exergue la traite et l’esclavage. Rappelons que le Parlement
français, à l’unanimité, a déclaré l’esclavage “crime contre l’humanité”.

Propos recueillis par “Témoignages”.


Les membres du Comité

Maryse Condé
Écrivain, en qualité de présidente du Comité.

Jean-Godefroy Bidima
Né en 1958 au Cameroun, ce philosophe est directeur de programme au Collège international de philosophie et chercheur associé au Centre d’études africaines de l’EHESS (Paris). Il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont “Théorie critique et modernité africaine - De l’École de Francfort à la Docta spes africana”, publications de la Sorbonne, 1993.

Marcel Dorigny
Né à Paris en 1948, historien, maître de conférences à l’Université de Paris VIII (Saint-Denis), il est l’auteur d’une thèse portant sur “Les doctrines sociales et économiques d’un groupe politique dans la Révolution française : les Girondins” (Paris, 1992). Il est aussi l’auteur de nombreux ouvrages sur l’histoire coloniale du 18ème siècle, sur les courants antiesclavagistes et abolitionnistes et les processus d’abolition de l’esclavage dans les colonies d’Amérique, notamment le cas de Saint-Domingue-Haïti et leurs rapports avec les mouvements d’Indépendance des colonies américaines : États-Unis, Amérique espagnole...
Marcel Dorigny est aussi secrétaire général de la Société des études robespierristes.

Nelly Schmidt
Née en 1949, docteur d’État Chercheur au CNRS, c’est une spécialiste de l’œuvre de Victor Schoelcher, de l’Histoire des abolitions et des abolitionnistes de l’esclavage, de l’Histoire des Caraïbes-Amériques (18ème-20ème), et des politiques coloniales européennes (18ème-20ème). Elle est l’auteur de plusieurs ouvrages traitant de ces différents sujets, dont le dernier paru est “Trois siècles d’abolition de l’esclavage, Espoirs et désillusions” (Paris, 2003).

Françoise Vergès
Docteur en sciences politique, diplômée de l’Université de Berkeley, Françoise Vergès est née à La Réunion. Historienne et politologue, elle enseigne à l’Université de Londres. Ses domaines de recherche sont le métissage et la créolisation, la théorie post-coloniale, les crimes coloniaux et la politique de réparation, et les mondes de l’océan Indien. Son dernier ouvrage, écrit en collaboration avec Nicolas Bancel et Pascal Blanchard, est “La République coloniale, Essai sur une utopie” paru en 2003 chez Albin Michel.
Françoise Vergès participe à de nombreux colloques et comités, et fut membre fondateur du Comité pour une commémoration unitaire de l’abolition de l’esclavage des nègres dans les colonies françaises en 1998.

Fred Constant
Fred Constant est né en 1960 en Martinique. Politologue, professeur à l’Université Antilles-Guyane, docteur d’État (Sciences politiques) et agrégé de sciences politiques, il est aujourd’hui recteur de l’Université Senghor d’Alexandrie (Egypte). Ses recherches portent sur les transitions politiques dans les sociétés multiethniques. Dans ce cadre, il a consacré plusieurs travaux aux droits des minorités, à la citoyenneté, à l’épreuve de la diversité culturelle et identitaire, au multiculturalisme.

Gilles Gauvin
Né en 1970 à La Réunion, il a soutenu en 2002 une thèse sur “Michel Debré et l’île de La Réunion. Archéologie d’une identité nationale (1946-1988)”. Il est professeur d’histoire-géographie au Collège Jacques-Yves Cousteau de Caudebec-lès-Elbœuf, en Seine Maritime.

Claude-Valentin Marie
Né en 1947 à Fort de France en Martinique, il est sociologue et démographe, directeur du Groupe d’études et de lutte contre les discriminations (GELD). Il a enseigné à l’Institut des sciences sociales de l’Université de Constantine (Algérie) et participé à de nombreuses études sur l’emploi des étrangers en France. Il est rapporteur auprès de la Commission européenne, notamment dans les domaines de la démographie historique, sociologie du travail et sociologie des migrations. C’est un spécialiste des politiques publiques de lutte contre les discriminations.

Henriette Dorion-Sébéloué
Née à Cayenne en 1932, cette ancienne avocate et juriste d’entreprise siège au comité en qualité de militante associative, impliquée depuis plus de trente ans dans plusieurs associations ayant trait aux activités des Guyanais de France. Elle est, entre autres activités associatives, cofondateur et administrateur des Mutuelles d’outre-mer et administrateur de Réseau France Outre-Mer (RFO).

Christiane Falgayrette-Leveau
Née en 1954 en Guyane et arrivée en France à l’âge de trois ans, elle a fait des études de lettres en France, a travaillé dans une maison d’édition et comme journaliste (RFI). Elle est aujourd’hui directrice de la fondation Dapper créée en décembre 1983 avec Michel Leveau. Elle a fait de ce musée à la fois un lieu d’exposition, une maison d’édition et un centre culturel de toute première qualité.

Serge Hermine
Né en Guyane, ce maître de conférences en Sciences de l’Éducation est aujourd’hui à la retraite. Il est le président de l’association ADEN (Association des descendants d’esclaves noirs et de leurs amis), créée en octobre 2001 pour faire connaître la traite négrière et l’esclavage, et contribuer au combat contre le racisme.

Pierrick Serge Romana
Né en Guadeloupe, Serge Romana est pédiatre, docteur en médecine et maître de conférence des Universités. En 1998, il était président du Comité pour une Commémoration Unitaire du Cent cinquantenaire de l’Abolition de l’esclavage des nègres dans les colonies françaises.


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