Regard de Vollard sur le théâtre de demain

“Quelle culture ?”*

5 novembre 2004

Emmanuel Genvrin, auteur, metteur en scène et fondateur en 1979 du théâtre Vollard croit en l’exception culturelle réunionnaise. Le théâtre doit s’inscrire dans les priorités politiques pour lui permettre de retrouver les moyens perdus.

En 25 ans que Vollard existe, bien des choses ont changé. "Aujourd’hui il n’y a plus de troupe, que des intermittents au chômage. Les choses sont en complet bouleversement, on ne peut plus avoir le même fonctionnement. Mais il reste quand même une “Vollard-Toush”", nous confie Emmanuel Genvrin, fondateur du théâtre Vollard. Comme d’autres artistes engagés de l’époque, Vollard dérangeait avec ses idées progressistes et ses manifestations farfelues. Il prenait la parole sans qu’on la lui donne, se mettait au devant de la scène, avec la détermination, un brin provocateur, de faire changer les mentalités pour que La Réunion s’approprie son identité. C’était, pour Emmanuel Genvrin, une question de survie, un besoin de se connaître et de se reconnaître. Cette implication lui a souvent porté tort : déconventions, expulsions, tribunaux... "avec la sagesse de l’expérience, on pratique le pardon des offenses", philosophe-t-il à présent. "Aujourd’hui, on sait à peu près ce qu’il en est du théâtre réunionnais. Il n’y a plus de coups bas comme avant, l’expérience montre que l’on a pas à y gagner". Les mentalités évoluent et la génération Vollard a mûri. Emmanuel Genvrin est pour "donner ses chances historiques à la période qui s’ouvre" et parle d’un "processus de réhabilitation". Il préconise ainsi de dépasser les clivages pour passer à une nouvelle dynamique.

Redonner des moyens au théâtre

Avec près de 40 spectacles à son actif, Vollard estime qu’il faut plus que jamais, "défendre l’exception culturelle réunionnaise ou bien La Réunion devient un vaste supermarché mondialiste, tombe dans une américanisation générale". Avec seulement quatre rassemblements des acteurs culturels réunionnais depuis 25 ans qu’existe Vollard, la préparation des États généraux de la Culture, inaugurée le week-end dernier à Stella Matutina, représentent l’opportunité de faire et confronter des propositions sur l’avenir du théâtre et de la culture dans sa diversité. "Il faut faire des productions de qualité, des œuvres réunionnaises pour tenir le public. Proposer des formations de qualité pour conforter le niveau artistique". Pour Emmanuel Genvrin, "quelqu’un comme Paul Vergès permet politiquement ça. Il a une exigence de qualité et d’excellence pour représenter La Réunion. Il a une volonté de garder notre identité et offre des possibilités de représentation extérieure". Pour le directeur de Vollard, tous les outils sont rassemblés pour atteindre cet objectif d’exception culturelle, il faut seulement les placer dans le bon ordre. La priorité politique doit se tourner vers le théâtre, pour lui redonner les moyens perdus. "C’est un besoin immédiat, pas ad vitam".

Un vrai programme culturel

Il appartient au pouvoir en place de prendre ses responsabilités, car "gouverner, c’est choisir", formule Emmanuel Genvrin. Les artistes sont sous employés et travaillent cependant énormément. "Il faut des commandes pour mettre de l’huile dans les rouages et des euros dans la machine", parabole le directeur de Vollard qui, en quelques années, a perdu les deux tiers de ses moyens et a du licencier son personnel. Son théâtre est aujourd’hui soutenu par la Région Réunion, la ville de Saint-Denis (au même niveau de prestation depuis des années).
Mettant en avant le fonds et les pratiques démocratiques qui animent notre société, Emmanuel Genvrin estime que "Vollard a encore des choses à dire". Pour procéder par ordre et de façon pragmatique, il faudrait déjà un programme culturel avant les élections. Le monde artistique se rend aux urnes sans même savoir qui va les représenter. "On prévoit des ponts, des routes, des artisans... mais l’on a pas de programme culturel", déplore Emmanuel Genvrin qui parle d’avancées en démocratie encore à faire pour que le vote sanction se tourne vers un vote positif. Manque d’égard et de reconnaissance de la profession, il souhaite que le manque de confiance en l’artiste réunionnais (inscrit selon lui dans l’inconscient réunionnais) se dissipe, pour que les artistes aient les moyens de se sentir bien. "Si l’artiste s’attache à faire des œuvres de qualité, exigeantes, ça ira bien".

Estéfany

* Le slogan “Quelle culture ?” est inscrit le 22 mai 1991 sur la façade du théâtre Jeumon, en larges lettres rouges. Il était dédié à la mairie de Saint-Denis qui, au début des années 90, ne voulait pas lâcher son emprise sur Jeumon. Théâtre, plasticiens et BD y ont d’ailleurs laissé des plumes.


Questions subsidiaires ( "Vollard a encore des choses à dire" )

Que pensez-vous de la politique culturelle du gouvernement à La Réunion ?

- Avec une révolution, cela peut toujours changer, mais le ministère de la Culture a toujours affiché un mépris cinglant à l’égard des productions réunionnaises. Il a une vision communaliste. Pour lui, La Réunion est un conglomérat d’ethnies qui coexistent, mais sans culture propre. Il a une idée de la culture réunionnaise bâtarde, c’est pourquoi, il se dit que cela ne vaut pas le coup d’investir. D’accord pour les manifestations chinoises, indiennes, ou autres, mais pour miser sur la multiculturalité...

Les récents déboires du théâtre Talipot à Pierrefonds vous rappellent-ils vos propres ennuis passés ?

- Oui, totalement. En 1987 nous avons été expulsés du Grand Marché qui devait préfigurer le Centre régional dramatique. Comme Talipot, nous organisions des festivals, nous nous ouvrions au grand public puis l’on nous a accusé de monopoliser les lieux, comme lui. On a parlé de municipaliser la salle pour l’ouvrir aux autres, y organiser des conférences, proposer des formations, faire plus de social. Rien de ce genre n’a jamais été fait. La municipalité, pouvoir habile, a alors monté les autres artistes contre nous, les faisant passer pour les lésés et nous, les privilégiés. Vollard en disait trop voilà tout. Tout ceci est passé, je souhaite que Talipot continue à travailler sur Pierrefonds.


25 ans de théâtre pour Vollard

Le Théâtre Vollard est né à la fin des années 70, comme Ziskakan, comme Danyèl Waro. Il a accompagné une génération en mal de révolte et d’identité. Dans une île passée en 20 ans du Moyen ge colonial à la société de consommation, les chocs ont été rudes, les conflits nombreux. 1980, 1987, 1992, 1999 : chaque fois, son avenir était remis en cause. Étranglé par l’administration, Vollard puisait son souffle dans son engagement qui allait de pair avec ses fêtes et manifestations insolites. Il a soutenu les motivations profondes de la révolte du Chaudron, a appelé aux réformes. Fallait-il se taire ? Éviter la politique ? Ne faire que du théâtre ? Peu à peu La Réunion a changé. Aujourd’hui, il y a davantage de liberté, plus de parole, l’Histoire de l’île n’est plus occultée. Et une culture nouvelle est née.


Opéra et roman sur scène en 2005

Depuis deux ans, avec son partenaire de toujours, Jean-Yves Trulès, le théâtre Vollard prépare un Opéra dont la première représentation est prévue le 15 novembre 2005, au Théâtre Champ Fleuri. Un orchestre symphonique, dirigé par Pierre Michel Durand (chef d’orchestre aux Conservatoires de Paris et de Lyon), accompagné par des musiciens de la zone va mettre en scène l’affaire Louis Payen, “grand parent des Réunionnais”, et cette bataille entre les 10 premiers arrivants, malgaches et français, pour obtenir les faveurs des 3 premières femmes. Emmanuel Genvrin travaille également pour l’année prochaine sur le roman de Pierre-Louis Rivière, auteur de théâtre et écrivain, “Notes des derniers jours”. Cette nouvelle création intitulée “PLR” sera coproduite avec Centre dramatique. Sur un déboire amoureux, le personnage central plonge sa tête dans un bain d’acide photographique. Il s’échappe de l’hôpital, est recueilli par une bazardière de Saint-Denis qui devient en quelque sorte sa maman de substitution. C’est comme une seconde naissance. Il tombe amoureux d’une prostituée malgache et....


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus