La Réunion / Mozambique

[ Regards d’artistes ]

28 septembre 2004

Alors que vient de se clôturer le festival Artkenciel, rencontre des musiques de l’océan Indien à La Réunion, l’occasion est offerte de revenir sur une rencontre de musiciens réunionnais avec une des terres d’origine de nos ancêtres. En juin dernier s’était tenu sur l’île Mozambique le Festival do Baluarte”, avec la participation remarquée de Nathalie Natiembé et Danyèl Waro dans l’équipe de “Makwalé”.

Nathalie Natiembé et Danyèl Waro étaient du groupe d’artistes - conteurs, griots, musiciens, poètes... - partis au Mozambique en juin dernier à l’invitation du “Festival do Baluarte”, un festival régional des musiques de l’océan Indien. Ils s’y sont rendus avec l’équipe de “Makwalé”, un spectacle vivant conçu par le photographe Karl Kugel à partir des recherches faites sur les rites de services des morts, à La Réunion.
En remontant le fil de la mémoire interrompue, des groupes humains déportés, Karl Kugel a inscrit son travail dans un dialogue renoué avec d’autres cultures de l’océan Indien : du “jako” réunionnais, personnage mystérieux du culte malbar, au “wanalombo” mozambicain, médiateur “divin”, clé des rites d’initiation en pays makondé, les Réunionnais ont pris à rebours la route des esclaves, remontant les traces visibles ou perdues dans nos mémoires.
Pour beaucoup, cette remontée aux sources a été un choc culturel de forte amplitude, répercuté par chacun selon sa personnalité.
Nathalie Natiembé avait déjà fait la traversée-retour et intégré dans plusieurs de ses créations récentes le choc reçu lors de sa découverte du village d’origine des “Natiembe”, dans la région de Maputo. Ce deuxième voyage lui a permis d’aller plus loin dans le partage culturel.

Rite d’initiation approfondi

"Sé avèk “Makwalé” ma la trouv le sans le rituèl. Dopi Karl Kugel la parl amoin, moin la santi lété in afèr lèspri... Bokou lèspri...". Celle qui se définit comme “griot” de La Réunion, plutôt que comme chanteuse, a vécu ce nouveau voyage africain comme un rite d’initiation approfondi. Sur la route qui les emmenait de Pemba à l’Ilha Moçambique, dans la province voisine de Nampula, le groupe s’est arrêté.
Premiers contacts avec les habitants, les enfants surtout. Les musiciens jouent, les enfants les accompagnent... Au moment de repartir, les Réunionnais sont interpellés par des enfants qu’intriguent le grand panneau “Makwalé” qui barre le bus dans sa longueur. - “Porqué amorere ?” -“Pourquoi la mort” traduisent approximativement les Réunionnais, qui comprennent d’un coup la stupeur des Mozambicains devant leur caravane. "Makwalé sa i vé dir “mor”... Donc nou fé “servis le mor”" interprète aussitôt Nathalie, en expliquant comme elle a réajusté sa compréhension du spectacle devant la réaction des Mozambicains.
"Avant, Makwalé lété in mo, kom “zorèy” si ou vé, pou di ousa in moun i sort : makwalé, i sort péi makwa. Kan ma la pri konsians desa, ma la pansé mé zansèt... Nana bon pé Natiembé koté Maputo. Mi koné pa koi i lé listoir vréman, koman zot la retrouv azot an vil pou travayé... Sé la moin la rann amin kont..." se souvient-elle.

Transmettre une spiritualité

À partir de cette prise de conscience, Nathalie Natiembé dit avoir ressenti beaucoup plus intensément les relations humaines tissées lors du déplacement du groupe. "Tout ce qui est sensibilité, regards, paroles, je vivais tout à fleur de peau. Tout ce qui s’attache au cœur, au corps... On aurait dit des molécules qui m’effleuraient tout le temps... Lété sa servis makwalé pou moin, o Mozambik... Et plus encore sur l’île... Sé la moin la resanti le respé. Mi kroi sa i vien le kontakt nou lavé èk bann marmay, èk la popilasion. Tout lé marsh nou té fé avèk, moin té resanti sa komm in prosésyon, sat nou fé avan Makwalé".

Tout la ramène au spectacle, un moment d’autant plus fort que Danyèl Waro lui a demandé de doubler sa voix dans une improvisation lancée pour le générique de fin, un petit filet de blues dans une séquence de une à deux minutes... Une éternité de bonheur pour la “blues woman” réunionnaise. "Pou moin, lété komm si Aretha Franklin -si lété ankor la- ou komm si in gran lartiss èstériër té demann amoin sa... Danyèl Waro pou moin, sé légal in lartiss intèrnasyonal".
Nathalie Natiembé a vécu, plus intensément que d’autres peut-être, toutes les tensions, les épreuves, qui secouent un groupe d’artistes d’une trentaine de personnes impliquées dans une œuvre exigeante. “L’esprit des ancêtres” veillait sur la troupe et ses membres ont pu transmettre sur leur passage une spiritualité, religieuse ou non, nourrie au creuset réunionnais.

P. David


Danyèl Waro

"Nou la besoin le lien Moçambique"

"Avèk Makwalé (le point de départ artistique créé par Karl Kugel - NDLR) é an déor Makwalé, nou la vi Mozambique i konserne anou vréman" estime pour sa part Danyèl Waro, stimulé dans son questionnement par ce voyage. "An déor le rapor mythique ou historique nou néna dan la tèt ou dan le kèr, kosa i lé Mozambique pou nou ?".
Le griot de Bellemène a gardé des impressions fortes : leur passage dans les rues de Maputo. "Lété intérésan zoué devan domoun dan shomin. Ou san nana in rapor familial avèk la mïzik, avèk le moring an plïs...Tousala lé dirèkt" évoque-t-il. Les liens musicaux ont été si forts que le Maloyèr évoque "des phénomènes de transe" dans le groupe des Réunionnais. "Domoun Larényon i trans dirèk isi... mé la fé osi laba, dan in rapor dirèk èk lo bann zansèt ! Nou koné pa si sa i pé ekzit an Frans, kan nou sava. La, on diré lé ankor plïs provoké, le kanal lé ankor plïs rouvèr pou transpport in afèr kom sa..."
"Dan nout tèt nou di “Nou sort Mozambique” mé la, ou na lokazion trouv domoun néna mèm non... Ou san néna in vré lien dirèk, par lèspri : dans, mïzik, trans..."

De plus, sur l’Ile Mozambique, le spectacle commençait par un “débarquement” des artistes depuis un bateau symbolisant “la route à l’envers”, ou le renversement de la déportation des esclaves. "Le dépar bann zesklav i fé mazine anou le “Gorée” Lafrik de l’Est" poursuit Danyèl Waro, qui s’est interrogé sur le mot “makwa” dans Makwalé. "La donn la répons : “serviss pou lé zansèt, manzé sï la tab... Lé in vré rankont osi dan sans-la...".
Danyèl Waro a vécu cette “traversée” en linguiste - attentif aux sons, aux onomatopées - et en ethnologue curieux de découvrir le sens des rites et l’histoire des familles. Il a été l’intercesseur entre le jeune moringeur du Port, Willy Hagen et son “homonyme” mozambicain - un autre Hagen - jeune moringueur lui aussi (on dit là-bas “capoeiriste”). La rencontre a bouleversé le jeune portois, mis concrètement devant l’existence de liens familiaux distordus par le temps, les histoires dissociées et la “déroute” de la mémoire.

Sur place, une explication avancée par le directeur du centre culturel français à Maputo, François Belorgey, a apporté les premiers éléments d’explication, concernant un Danois (Hagen) propriétaire d’un lot d’esclaves. Un autre "lien" à étudier, pour Danyèl Waro, davantage porté quant à lui sur la musique des mots que sur les liens du sang... "Si moin té étïdian, moin noré fé in travay desï bann mo : Quilimane, n’Pélélé, Iambane, Makwa, Makondé... I fodré vréman pouss plï loin pou voir kosa i rèst dan kréol, dan limazinèr domoun, dan sèrvis kaf, malgash... lé mo domoun i di... Kosa lé sakalav, kosa lé bantou ?" Il aimerait tant transmettre sa curiosité à un vrai passionné de la langue. Il sait qu’il happe les mots en poète, pour les restituer dans une couleur sonore. Mais qui restituera leur histoire, en tirant sur le fil de la connaissance ?
Sensible à "l’occasion artistique" qui leur était offerte, Danyèl Waro s’est imprégné de sons, de mots, de récits -mythes ou histoire, il n’entre pas dans son propos de démêler les deux. "Néna in vré zafèr dedan. I déklansh in bout lidantité an plïs. Nou la bezoin le lien Mozambik" dit-il.

Impressions recueillies par P. David


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus