Menaces sur un cimetière d’esclaves à La Rivière des Pluies - 2 -

Renforcer la mobilisation pour valoriser la part déniée de notre Histoire collective

26 avril 2004

Samedi dernier, “Témoignages” attirait l’attention sur l’existence, à Sainte-Marie, d’un cimetière datant de la période esclavagiste. Au vu des constructions qui se préparent aux alentours, le GRAHTER (Groupe de recherche sur l’archéologie et l’histoire de la terre réunionnaise) et l’Association Rasine Kaf dénoncent le manque de considération des sites historiques et tirent la sonnette d’alarme afin que soit reconnu et préservé ce cimetière d’esclaves, patrimoine réunionnais... Nous publions la seconde partie de notre enquête.

Dans une allocution, lors du colloque "Diversité culturelle et identité réunionnaise" organisé en 2001 par la Région Réunion en préparation du projet de la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise, l’universitaire Christiane Rafidinarivo Rakotolahy (politologue à l’Université de La Réunion), soulignait "qu’à la recherche des morts dans les archives, mémoriaux et lieux servant de nécropoles, on ne peut que constater des taches qui brillent par l’absence-présence de certains corps avant l’abolition de l’esclavage de 1848".
La mémoire collective, fruit du recueil de témoignages transmis de bouche à oreille dans les intimités familiales et communautaires, reste gardienne de précieux renseignements sur la manière dont les esclaves de domaine étaient enterrés, selon l’universitaire. S’il se vérifiait que le cimetière de La Rivière des Pluies remis au devant de l’actualité la semaine dernière soit un lieu de sépultures d’esclaves d’avant 1848, sa réhabilitation servirait à reconstituer, du moins comprendre une partie intéressante de notre Histoire, sur une localité dominée par une des grandes familles esclavagistes de l’époque.
Pour Ghislaine Bessière, de l’association Rasine Kaf, la question Kaf, l’histoire du Kaf souffrent d’un déni, "puisqu’elles interfèrent directement avec la question de l’esclavage". C’est ce qui ressort de ses propos, lors du même colloque "Diversité culturelle et identité réunionnaise" : "Difficile de parler du Kaf, lorsqu’on sait qu’il a toujours fait l’objet de représentations sociales négatives...".
"Pour l’historien Prosper Ève, il est possible de reconstituer cette Histoire à partir des plaintes déposées par les esclaves suite aux mauvais traitements de leurs maîtres, les procès qui en sont suivis nous informent sur leurs motivations quant aux fuites, aux révoltes ou aux chapardages", poursuit Ghislaine Bessière. L’occasion nous est aujourd’hui donnée d’avoir un contact direct avec des traces "inédites" de la présence d’esclaves.

Des gâchis historiques douloureux

Ghislaine Bessière déplore que ces traces soient délaissées, voire détruites, un peu partout à La Réunion. Elle évoque, non sans douleur, le gâchis historique provoqué par le tracé du Boulevard Sud à Saint-Denis, qui passe sur des vestiges historiques liées à la période de l’esclavage. Des calbanons, par exemple. On ne s’étonnerait pas d’y trouver des ustensiles faisant parler le quotidien d’un esclave.
À La Saint-Gilles les Hauts, il n’est pas rare d’entendre que le terrain de golf à Villèle cache un cimetière d’esclaves. Pourtant, aucune mesure n’a été entreprise pour étudier cet espace. Que dire encore des divers calbanons éparpillés sur l’île et laissés à l’état d’abandon et qui tombent en ruine ? "Est-ce l’image que nous voulons garder ?", interpelle la responsable de Rasine Kaf. "On ne peut pas tuer les esclaves deux fois", ajoute-t-elle, regrettant que nous ne disposons plus que d’éclis d’Histoire, de bribes d’un passé déjà profondément obscur.
"Que fait la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles, une institution de l’État - NDLR) pour préserver ces lieux de mémoires ?", se questionne Ghislaine Bessière, qui déplore que "tout ce qui a trait à la mémoire des esclaves ait peu d’importance auprès de nombreux acteurs institutionnels dont le rôle est de préserver la mémoire".
Elle regrette que le cimetière de La Rivière des Pluies, une propriété communale, soit laissé dans un tel état d’abandon, voué à contenir les ordures du quartier. La Mairie de Sainte-Marie devrait se préoccuper de la propreté et de la conservation de ce lieu sacré.
D’ailleurs, Ida Latchimy, présidente de l’association Rasine Kaf, dit avoir passé un accord avec un responsable communal, pour que cela soit fait. "Nou konstate avèk désèpsion ke rien la été fé", s’offusque-t-elle, alors qu’elle avait pris l’initiative de montrer l’exemple en nettoyant le site. Cela ne désengage pas pour autant le service de la DRAC, chargé de la conservation du patrimoine historique réunionnais, de ses responsabilités premières.
Mais rien ne justifierait un refus de sa part, pour peu que le site soit authentifié par un archéologue. Du moins, l’espérons-nous ! Nous pourrions aisément faire reconnaître, à l’instar du cimetière du Père Lafosse à Saint-Louis, le devoir de mémoire pour les va-nu-pieds d’une société bourbonnaise esclavagiste.

Pour la réhabilitation des lieux de mémoire

Le 27 avril 1848, on votait le décret de l’abolition de l’esclavage à Paris. 156 ans plus tard, force est de constater qu’il reste un grand travail de sensibilisation auprès de tous les Réunionnais, puisque cela est l’affaire de tous. Nous ne pouvons que saluer la vigilance de la jeune anthropologue, une certaine Mlle Gence, qui a alerté le GRAHTER (pensant que le cimetière d’esclaves allait être détruit) et permis d’initier des mesures pour la préservation du cimetière d’esclaves de La Rivière des Pluies à Sainte-Marie.
Elle aura permis de faire sortir de l’ombre une partie de notre Histoire et soulevé pour la énième fois la question de la réhabilitation des lieux de mémoire à La Réunion. Cela permet de dégager le problème de la responsabilité des instances compétentes et de l’application d’une loi servant à défendre les sites patrimoniaux réunionnais.
Ces lieux de mémoire cachent encore des secrets sur des personnes - nos ancêtres - reniées d’une Histoire qu’elles ont pourtant contribué à écrire. Aujourd’hui, il est impérieux de rendre hommage à ces hommes et femmes, livrés à la merci d’un système économique mondial marqué par un machiavélisme sans prestance, où dominent la loi de l’argent, le tout marché et le racisme. Ces secrets, ces pièces manquantes nous éclaireront sur les esclaves qui ont subi le système et sur ceux qui ont résisté, ceux que l’on appela "marrons". Ces Simandèf, Marianne, Héva, Phaonce, Sarsemate et autres Raharianne qui dorment au fond de la mémoire des Réunionnais, sans véritable reconnaissance...

Bbj


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