“La question des ancêtres chez les esclaves de Bourbon” - 7 -

’Réunionnais afro-indo-sino-créolo-malgache, respecte ta culture !’

17 janvier 2005

Nous publions aujourd’hui la dernière partie du texte de Prosper Ève sur “La question des ancêtres chez les esclaves de Bourbon”, que l’historien a porté à la connaissance du public le 20 décembre dernier, lors de l’inauguration de la salle des fêtes “Rwa Kaf” du Bocage à Sainte-Suzanne.
En conclusion de son étude, Prosper Ève lance un appel aux Réunionnais pour qu’ils ne tournent pas le dos à leur patrimoine ancestral.

(Page 5)

Il est difficile d’écrire sur cette question (le culte des ancêtres chez les esclaves de Bourbon - NDLR), car les esclaves comme les engagés n’ont pas laissé des traces écrites sur leurs pratiques culturelles.
Les cultes aux ancêtres qui existent aujourd’hui chez les Afro-malgaches, les Chinois, les Indiens, ont été mis en lumière par les enquêtes menées à la fin des années 70 par feu le père Christian Fontaine, Christian Barrat, Claude Prudhomme et moi-même. Il est des gens aujourd’hui qui, par ignorance de ces cultes construits ici, dans le fénoir des cases, des calbanons, à l’arrière des cours, au fond des cours d’usines sucrières, à la lueur des torches ou des lampes à pétroles, ou par volonté délibérée de le nier, dépensent beaucoup d’énergie pour aller chercher les normes dans les sociétés de départ de ces hommes qui sont venus peupler cette petite terre du Sud-Ouest de l’océan Indien.
Cette démarche peut être fructueuse pour ceux dont les ascendants pratiquaient des religions non animistes. Elle peut être valable pour les descendants des derniers travailleurs engagés arrivés ici au début du XXème siècle.
Quant aux autres, qui peut s’enorgueillir de savoir, d’où sont-ils venus ? De plus, depuis le XVIIIème siècle, ces sociétés animistes de départ ont connu des bouleversements de tous genres et forcément, les gestes de la vie quotidienne ont subi eux aussi bien des variations. Le propre de l’animisme est que les gestes des hommes ne sont pas codifiés dans des textes sacrés. Dès lors, les gestes des hommes d’aujourd’hui ne peuvent plus être ceux de leurs frères du XVIIIème ou du XIXème siècle.
Alors, à l’issue de leur quête, c’est une culture bien différente de celle vécue par les esclaves et les engagés, qu’ils risquent de colporter ici. Dans ces conditions, faut-il tourner le dos au patrimoine ancestral réunionnais, soi-disant pour mettre en place un culte aux ancêtres pur, à partir d’une norme (ou de normes) qui serait conservée ailleurs ?

Le fruit de l’Histoire

À cette interrogation je me dois de répondre par la négative, et de dire par pure bienveillance aux uns et aux autres :
"Réunionnais afro-indo-sino-créolo-malgache, respecte ta culture ! Respecte l’héritage de tes ancêtres ! Ne forligne pas ! N’aie pas honte de ce qui se pratique ici !
Fleuris les p’tits bons Dieux des bords de route ! Si tu entends qu’une personne ne peut pas déposer une croix ou une statue à l’endroit où il a perdu accidentellement un des siens et ce, pour les raisons les plus ineptes, que son problème devienne le tien, mets-toi à ses côtés, agis pour qu’elle ait gain de cause ! Si tu entends que des pierres des tombeaux de tes ancêtres esclaves ont été déplacées sans respecter les règles élémentaires de l’archéologie, ne reste pas les bras croisés, lève-toi et va demander des comptes aux responsables d’une telle forfaiture ! Sauvegarde les gestes de tes ancêtres et transmets-les intacts à tes enfants !
Respecte cet héritage composite, véritable maillage interculturel ! Pour prouver que tes ancêtres te protègent, tu dois réussir mieux qu’eux, alors œuvre pour que tes enfants réussissent à l’école ! Fais de leur éducation, ta priorité !
Réunionnais ! Ceux qui t’ont précédé ont construit ici leur Afrique, leur Madagascar, leur Inde, leur Chine ! Alors si tu veux les respecter ou si tu crois les respecter, ne renie pas leurs gestes ! Garde-les dans la sphère de l’intime et pourchasse tous ceux qui viennent les filmer pour les besoins de leur promotion personnelle ! Tes ancêtres ne sont pas à vendre !
Le monde bouge, tout bouge en matière culturelle et cultuelle, c’est la vie ! Ne crois donc pas que les gestes des hommes des sociétés animistes venus ici au XVIIIème et au XIXème siècle ont été conservés intacts tout spécialement pour toi quelque part dans un coin du monde, par des êtres qui savaient que toi, tu allais revenir un jour à la quête des gestes disparus !
Maintenant, s’il te plaît de tourner le dos à ce qui existe ici, tu es libre comme l’oiseau ! Fais-le ! Vas au bout de ta logique ! Mais ne dit surtout pas que tu vas à la recherche de tes racines ! Tes racines sont ici. Tu as pris racine sur cette terre. Ouvre tes yeux ! Découvre la richesse de ta culture ! Lorsque tu vas ailleurs, c’est pour te frotter et limer la cervelle, mais pas pour renier les gestes de tes ancêtres, pas pour copier comme un mouton de Panurge ! Sache donc qu’au bout de ta quête, tu imposeras à ceux qui te suivront ce qui se fait ailleurs aujourd’hui, mais tu ne rapporteras pas les gestes de tes ancêtres ! Les gestes de tes ancêtres sont ici et pas ailleurs ! Certes, ils ont été parasités, remodelés par des emprunts aux autres religions, mais c’est le fruit de l’Histoire, c’est ce qu’ils ont construit, apprécie la richesse de leur construction, la richesse de la culture de la nuit !"

Prosper Ève

(Fin)


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