Commémoration du 10 mai à la Région

Se réapproprier notre Histoire

13 mai 2008, par Manuel Marchal

Intervention de Françoise Vergès, présidente du Comité pour la mémoire de l’esclavage, hommage à Aimé Césaire, remise de plaques commémoratives et d’arbres de la liberté aux 47 établissements scolaires associés à une manifestation organisée en partenariat avec la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise, le Rectorat, le Conservatoire botanique de Mascarin, la SR21 : retour sur la commémoration de la Journée nationale des mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions.

La commémoration à la Région de la Journée nationale des mémoires de la traite négrière et de leurs abolitions a commencé par une intervention d’Éric Alendroit. Il a rappelé les nombreuses révoltes, le marronnage ainsi que les deux abolitions qui ont été nécessaires pour en finir avec l’esclavage, et pour aboutir à la reconnaissance par la France de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité, le10 mai 2001. En 2006, suite à la proposition du Comité pour la mémoire de l’esclavage, le gouvernement décrète que le 10 mai, date de l’adoption de la loi, comme journée nationale.
Présidente de ce Comité, Françoise Vergès par visioconférence depuis Paris rappelle tout le chemin qui a mené au choix de cette date (voir encadré). Cette intervention est suivie d’un hommage à Aimé Césaire, poète et responsable politique martiniquais récemment décédé.
Débute ensuite la remise des plaques commémorative aux 47 établissements scolaires associés cette année à la célébration du 10 mai à La Réunion.
Au cours de son intervention, Paul Vergès, Président de la Région, note que Nicolas Sarkozy est aujourd’hui dans les Jardins du Luxembourg à Paris pour commémorer cette journée, celle qui rappelle qu’un 10 mai a eu lieu la condamnation unanime de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité par l’ensemble de la représentation nationale. Le président de la Région rappelle que l’esclavage est une forme d’organisation sociale et économique qui a existé sur tous les continents, « et a coexisté avec de grandes périodes de civilisation ». C’est la première mondialisation, importante par sa diffusion et sa longueur car des séquelles parviennent encore jusqu’à nous.
« La Réunion est un pays qui a connu l’esclavage, et est intégrée dans un pays qui a pratiqué l’esclavage », poursuit-il, appelant à approfondir notre Histoire, dont la moitié s’est passée sous le régime de l’esclavage. « On a organisé l’oubli, célébrer notre Histoire était étouffé par les maîtres du moment », rappelle Paul Vergès, or, « c’est la sueur des Malgaches, des Africains, des Malbars qui a fait pousser la canne ».
Des travailleurs tombés par milliers, sans que l’on sache ce qu’ils sont devenus. Où sont les sépultures de ces ancêtres ? Où sont ceux qui sont morts dans la servitude et le marronage ? « La Réunion est une terre de morts errants », constate Paul Vergès.
Tout ce travail de mémoire doit permettre de réaliser l’égalité de tous les descendants d’esclaves, en contradiction avec l’inégalité de leurs ancêtres.
Avec le 20 décembre, le 10 mai participe à cet objectif. « On est sorti du long silence de la Nation sur une initiative de l’Outre-mer ». Ce sont tout d’abord Huguette Bello, Claude Hoarau et Elie Hoarau qui ont déposé une proposition de loi. Christiane Taubira a travaillé à partir de ce texte, qui a abouti sur un vote unanime d’une loi par l’Assemblée et le Sénat. Ce « geste considérable de civilisation et de responsabilité » a une signification nationale et « une vocation mondiale ».
Pour La Réunion, cela veut dire se réapproprier l’Histoire, c’est une des tâches de la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise. Il s’agit de « montrer que nos ancêtres étaient tous porteurs d’une égalité des cultures ». Cet héritage est partagé par tous les Réunionnais, tous porteurs d’une partie de ces cultures originelles : c’est l’intraculturalité de notre société. « Nous sommes tous des descendants d’étrangers, d’immigrés », conclut Paul Vergès, insistant sur le fait « qu’il est juste que des Réunionnais soient au départ de cette initiative ».
La remise des plaques commémoratives s’est poursuivie par une photo de tous les participants, qualifiés d’“éclaireurs” par le Président de la Région.

Manuel Marchal


Françoise Vergès, présidente du Comité pour la mémoire de l’esclavage

Le 10 mai : une date du présent

Le 10 mai 2001, la représentation nationale vote à l’unanimité pour la reconnaissance de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité. Trois ans plus tard est créé le Comité pour la mémoire de l’esclavage. Il fait plusieurs préconisations dont la proposition de la date du 10 mai comme journée nationale du souvenir.
Présidente de ce Comité, Françoise Vergès par visioconférence depuis Paris rappelle tout le chemin qui a mené au choix de cette date. En 1948, la célébration du centenaire de l’abolition de l’esclavage a donné lieu à une manifestation organisée à la Sorbonne à Paris. Réunis autour d’Aimé Césaire, les participants ont constaté que le racisme est toujours là. A partir des années 60, poursuit la présidente du CPME, a commencé une réappropriation de l’Histoire par les peuples qui ont connu l’esclavage. Cette lutte a débouché en 1983 sur un décret qui reconnaît comme jour férié au niveau local les dates d’abolition de l’esclavage. Cela fait donc 25 ans que le 20 décembre est un jour férié à La Réunion.
Il a fallu attendre les années 90 pour voir une prise de conscience en France, indique Françoise Vergès. En 1998 commence en France un mouvement pour la reconnaissance de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité, marqué par le dépôt d’une loi par trois députés de La Réunion : Huguette Bello, Elie Hoarau et Claude Hoarau.
C’est finalement une loi déposée par Christiane Taubira, tendant au même objectif, qui est adoptée à l’unanimité par l’Assemblée puis par le Sénat le 10 mai 2001. Trois ans plus tard, c’est l’installation du Comité pour la mémoire de l’esclavage. Présidé par Maryse Condé, il commence ses travaux. Il publie un guide répertoriant les différentes traces de l’esclavage présentes dans les Archives nationales, ainsi qu’un inventaire de toutes les pièces en lien avec l’esclavage présentes dans les musées.
Le Comité propose également le 10 mai comme date de Journée nationale. Françoise Vergès explique les raisons de ce choix : « Le 10 mai est une date du présent, liée à aucun territoire. Le 10 mai 2001, les élus de la Nation ont adopté unanimement une loi reconnaissant l’esclavage en tant que crime contre l’humanité. » « C’est notre héritage à tous, un héritage de souffrances, un héritage de résistances », souligne-t-elle, rappelant que les marrons étaient les seules personnes libres dans les colonies esclavagistes.
Cette célébration est un message de solidarité internationale : quand une personne est opprimée, alors toute l’humanité doit répondre.


Hommage à Aimé Césaire

Décédé le 17 avril, ce père de la loi abolissant le statut colonial à La Réunion était présent dans toutes les mémoires. Une minute de silence a été observée pour rendre hommage à l’écrivain, poète et responsable politique martiniquais.
Paul Vergès a déclaré que « Aimé Césaire a un message universel qui concerne directement tous les Réunionnais ». Il rappelle tout d’abord que le dernier livre d’Aimé Césaire était un dialogue avec Françoise Vergès. Il évoque ensuite la commémoration du soixantième anniversaire du vote de la loi du 19 mars. Concluant un dialogue avec Paul Vergès, Aimé Césaire avait affirmé : « un cycle se termine, je vous passe le flambeau pour continuer la lutte ».
Après la minute de silence, l’hommage s’est poursuivi par la lecture de deux textes d’Aimé Césaire par Jean-Claude Carpanin-Marimoutou, directeur scientifique de la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise, et Emma Rangouva, élève au lycée de Bras-Fusil à Saint-Benoît.
« Aimé Césaire a toujours lutté pour la dignité de tous les êtres humains, quoi de plus naturel de l’associer à la célébration du 10 mai », précise quant à lui Maurice Gironcel, 1er vice-président du Conseil Général. Ce 10 mai est « un moment de partage, de fraternité et de solidarité », poursuit-il, évoquant la célébration qui se déroulait au même moment à Sainte-Suzanne : « L’ensemble de la mémoire doit entrer dans l’Histoire ».


Partenariat Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise-Rectorat-Conservatoire botanique de Mascarins-SR21

Plantation de 47 arbres de la Liberté

La commémoration du 10 mai à la Région a été marquée par la remise à 19 écoles, 15 collèges et 13 lycées d’un arbre (bois de fer ou bois de senteur) avec une plaque commémorative.
Sur chaque plaque figure le nom d’un militant de la résistance à l’esclavage, le nom de la plante et sa définition, et une phrase rédigée par les élèves.
Paul Canioni, recteur de l’Académie, note que cette action mêlé mémoire et environnement. « Cette action a reçu un accueil très favorable de la communauté éducative », poursuit-il.
Directeur du Conservatoire botanique de Mascarin, Daniel Lucas présente le Bois de senteur et le Bois de fer. Il précise que ces deux arbres sont des échantillons représentatifs de la biodiversité réunionnaise. Et au-delà de leur potentiel médicinal, ces plantes font aussi l’objet dans notre île de pratiques cultuelles.
Pour sa part, Jean-Claude Carpanin-Marimoutou, directeur scientifique de la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise, rappelle que des camps de l’esclavage est née, dans les pires conditions, une culture commune. Au-delà de La Réunion, le 10 mai renvoie à une histoire partagée par l’ensemble de la Nation. Jean-Claude Carpanin-Marimoutou souligne combien il est important de rappeler aux jeunes que l’histoire de l’esclavage, c’est l’histoire de ceux qui ont lutté ici et dans le monde. « Oser faire, oser créer, oser réaliser », ce mot d’ordre de la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise doit s’élargir à la jeunesse.

10 maiMaison des civilisations et de l’unité réunionnaise

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