Lettre aux élus sur les difficultés du ’théâtre populaire, efficace et rassembleur’

Sham’s : ’Créer relève de la prouesse’

28 août 2004

Dans une lettre adressée aux élus de La Réunion, la compagnie de théâtre Sham’s présente un bilan à mi-parcours de ses spectacles dans l’île pour l’année 2004, et s’adresse aux collectivités locales afin d’obtenir des moyens supplémentaires indispensables à son bon fonctionnement. Nous publions ci-après de larges extraits de cette lettre.

"Depuis le début de l’année, notre compagnie a présenté deux nouvelles créations : “Mais n’te promène donc pas toute nue !” de Feydeau, et “Krhomagnon” (sur la préhistoire). Avec “Mario mon Dalon” (sketches sur la toxicomanie), “Le Petit Chaperon Rouge”, “Les Trois Petits Cochons”, “Lo Rapiang” et “Cendrillon”, ce sont 7 pièces différentes en 5 mois qui ont été proposées en tout, par une seule troupe, ce qui est tout à fait exceptionnel.
Au total, ce sont 133 représentations qui ont été données durant cette période, en englobant celles qui ont été programmées dans notre théâtre du Moufia, dans les écoles, collèges et lycées et dans d’autres théâtres de l’île, en décentralisation.
Ce chiffre reflète une vitalité et un dynamisme rares, et ancre, plus que jamais, notre troupe en position de tête quant aux nombres de représentations théâtrales données à La Réunion et de spectateurs touchés.
La popularité de notre compagnie dans l’île reste incontestée et elle va grandissant au fil des succès remportés par nos divers spectacles.
Sur le plan thématique, nous nous plaçons sur plusieurs fronts : pièce pour adultes, pièce jeune public, pièce sur les phénomènes de société (toxicomanie), pièce en créole, conte en français, pièce sans parole (“Krhomagnon”), pièce du répertoire, création, etc...
Les spectacles cités plus haut affichent, depuis leur sortie, le chiffre de 1.090 représentations au total.

Cependant, ces succès dissimulent à peine nos difficultés de fonctionnement. En effet, nous sommes entièrement happés par une course à la survie qui se trouve relancée tous les mois : pour conserver notre salle du Moufia, nous supportons un loyer mensuel de 3.000 euros. Nous sommes la seule compagnie de l’île à payer un loyer.
Nous fonctionnons avec cinq permanents et, régulièrement, une dizaine d’intermittents. Nos faibles moyens ne nous autorisent pas encore à améliorer le confort de notre petit théâtre (120 places), ce qui nous grignote du public progressivement.
Le directeur artistique que je suis se trouve surchargé de travail puisque je suis également administrateur, metteur en scène, acteur, auteur, responsable de la communication, formateur, sans compter par ailleurs mes activités d’éditeur et de chercheur. Comment créer en toute sérénité dans ces conditions ? Mais pour avoir d’autres collaborateurs, il faut que la structure puisse les payer.
Le montant global de nos subventions est encore trop faible par rapport à notre fonctionnement, à notre productivité et à nos besoins. En 2004, nous avons reçu au total 75.000 euros (Région 45.000 euros, Département 16.000 euros, Ville de Saint-Denis 14.000 euros, DRAC 0 euro). C’est près d’ 1/5ème de ce qui est attribué à d’autres troupes professionnelles réunionnaises, sans parler des grandes structures de spectacles.

Notre théâtre n’a toujours pas, depuis sa création, ni de secrétaire attitrée, ni de personnel d’accueil pour les réservations. Tout le monde fait un peu de tout. (...) L’exploration des territoires du théâtre reste une tâche difficile et exige, au maximum, toutes les ressources psychiques et vitales de ceux qui s’y consacrent. L’enjeu ne devrait pas être économique ni financier, mais artistique et uniquement artistique.
La qualité que l’on veut pouvoir restituer au public, il faut la mériter par un travail acharné de tous les instants qui passe par la lecture, les recherches, les échanges, les expériences, les rêveries, les essais, les répétitions nombreuses, etc... Mais à ce jour nous travaillons presque uniquement dans l’angoisse et l’urgence de pouvoir payer, à la fin du mois, notre loyer et les salaires. Créer, relève, dans ce cas de figure, de la prouesse.
Nous nous trouvons aujourd’hui dans notre septième année d’existence et nous avons produit huit pièces de théâtre. Le mois prochain, la version en créole de notre Feydeau, “Té, arèt marsh tou ni don !” viendra s’ajouter à cette épopée de l’acharnement, puis il y aura en novembre une nouvelle pièce jeune public. On aura alors atteint le chiffre de dix pièces créées.

Nous espérons, une nouvelle fois, à travers ce courrier, vous sensibiliser à notre situation, pour que nous obtenions enfin les moyens nécessaires à notre bon fonctionnement et à la pérennité de nos activités de production et de diffusion théâtrales. Cela ne peut être que le fruit d’une volonté politique.
Permettez-nous, avant de finir, de remercier la Région, le Département et la Ville de Saint-Denis pour les aides que nous avons reçues tout le long de ces années, et sans lesquelles nos réalisations passées n’auraient jamais pu exister."

Le directeur, Sham’s
Le président, Frédéric Salvan


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