Un hommage très fort aux Réunionnais disparus sans sépulture

Soyons fidèles aux combats de nos ancêtres

2 novembre 2010

Dimanche matin s’est déroulée au cimetière du Père Lafosse à Saint-Louis une cérémonie très émouvante, très riche par le nombre et la qualité des participants, très forte par la diversité et l’unité des intervenants. Elle a montré l’importance de briser le silence autour des Réunionnais victimes des crimes de l’esclavage, de l’engagisme et de la colonisation, car le mépris de ces morts est un mépris envers les vivants.

L’édition 2010 de l’hommage à nos ancêtres morts sans sépulture a été organisée par l’association Maison des Civilisations et de l’Unité Réunionnaise – Recherche, Culture, Action (MCUR-RCA), présidée par l’universitaire Carpanin Marimoutou, en partenariat avec la Commune de Saint-Louis. Elle a été animée par Patricia Coutandy, une des responsables de l’association, qui a commencé cette cérémonie par une citation : « Le silence, c’est l’oubli des morts et le mépris des vivants ». Elle a ajouté : « Nou lé là ce matin pour dire que nou la pas oublié notre histoire et que nou méprise pas nos ancêtres, nos ancêtres morts sans sépulture. Merci donc à tous d’être présents pour cet hommage solennel avec les composantes religieuses de l’île, les artistes et les associations ; avec des prières, fonnkèr, chants et recueillements, nou va dire à nos ancêtres que nou la pa oubli azot, nou rend à zot hommage ».
Un an, jour pour jour, après la première édition de cette cérémonie, avec l’inauguration par Paul Vergès de la stèle en mémoire de ces ancêtres, présent ce dimanche matin, le premier intervenant fut le grand artiste et militant culturel Thierry Gauliris. Le leader du groupe Baster a chanté son célèbre maloya "Gayar lé la", qui a profondément touché le public présent.
Puis Claude Hoarau a accueilli les participants en soulignant l’importance d’exprimer tous ensemble notre gratitude à toutes celles et tous ceux qui ont construit La Réunion. Pour le maire de Saint-Louis, il est important de continuer à amplifier ce travail et cette mobilisation autour de la culture de notre mémoire historique.

« Donn anou la min »

Carpanin Marimoutou a remercié toutes les personnes qui se sont mobilisées pour assurer la réussite de cet événement. Le président de la MCUR-RCA a rappelé que nous devons tous quelque chose à nos ancêtres et qu’il faut garder des traces de ce qu’ils ont réalisé, afin de ne jamais l’oublier et de réparer les effets des tragédies du passé jusqu’à nos jours.
Un autre moment émouvant fut l’intervention de Mme Baba, aux côtés de Jean-Claude Viadère et d’Aline Murin-Hoarau. La veuve du célèbre Saint-Louisien "zarboutan nout kiltir" s’est exprimée en tant que fidèle au culte malgache et a lancé un appel à l’union des Réunionnais : « donn anou la min ».
La conteuse, écrivaine et militante culturelle Marilyne Dijoux a lu un très beau poème de sa fille Isabelle Testa sur le maloya, ce trésor culturel réunionnais inscrit il y a un an au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO grâce au travail de la MCUR. « Nout maloya la rézisté, in maloya koulèr maronaz, lété intèrdi dann somin mé osi dann lèspri, mèrsi nout bann zansèt ».
Christian Cartaye, un prêtre hindou, spécialiste des rites funéraires malbar dans le Sud de l’île, a déclaré que nous ne devons pas oublier notre passé, sinon nous ne pouvons pas savoir qui nous sommes.
Salim Moreea, imam et enseignant de l’islam à la mosquée de Saint-Pierre, a salué l’œuvre admirable accomplie par nos ancêtres qui ont éduqué leurs enfants et ont fait ainsi de notre pays un exemple pour le monde dans certains domaines. « Nous devons nous mettre ensemble, quelles que soient nos religions et idées pour bâtir un avenir encore meilleur ».
Emmanuel Miguet, fidèle catholique et responsable de la MCUR-RCA, a appelé les chrétiens à cultiver également la mémoire de nos ancêtres. « Zot la fé La Rényon zordi parske zot la rézisté kont zot sor ».
Cette cérémonie a rassemblé des personnes très différentes par leurs engagements, mais aussi par leurs âges. C’est ainsi qu’un jeune garçon de neuf ans, Léo Payet-Alendroit, a lu un texte magnifique en l’honneur du maloya.
Puis M. Wahib, un représentant du doyen de la communauté comorienne de Saint-Pierre, Fundi Cassim, a pris la parole pour dire que « grâce à tout ce qu’ont fait nos ancêtres, nous sommes fiers aujourd’hui d’être des Réunionnais. Et c’est grâce à eux que nous savons où nous allons ».


Une grande nouvelle

Daniel Singaïny, célèbre prêtre tamoul de la Sapèl La Mizèr à Villèle (Saint-Gilles les Hauts), a souligné les richesses de notre métissage et de notre interculturalité : « Nou toute nou lé inpé malgas, kaf, malbar, sinoi, zarab, éropéin… mé inpé la inpoz anou in lékol kolonial pou lav nout sèrvo rénioné ; i fo nou lé ini ansanm pour konstrui nout lavnir ».
Aïsha, responsable de l’École Soufie, a exalté la culture à la fois de notre diversité culturelle et de notre unité identitaire. « L’entre-connaissance enrichit nos différences et nos valeurs communes ».
La dernière intervenante fut Yolande Pausé, qui a rappelé l’importance de ce qui s’est passé en ce même lieu il y a un an, avec l’édification de cette première stèle en hommage à nos ancêtres sans sépulture. Et la maire de Sainte-Suzanne a annoncé une grande nouvelle : la décision de sa municipalité de réaliser la même œuvre dans sa commune afin que peu à peu dans toute l’île se répande ce genre de cérémonie.
Enfin, l’artiste et militant culturel Dédé Payet a également chanté un maloya. Il a d’abord exprimé une pensée en mémoire du Père Christian Fontaine, qui a beaucoup fait pour réhabiliter ce cimetière du Père Lafosse avec le CDPS (Centre pour le Développement et la Promotion sociale) et avec Reynolds Michel, président de l’E.P.I. (Espace pour Promouvoir l’Interculturalité), absent pour cause de problèmes de santé.
Avant de quitter les lieux, les participants ont déposé des fleurs au pied de la stèle. En tous cas, ce fut un événement très fort qui marquera notre Histoire et qui nous a montré à quel point il est important de rester tous ensemble fidèles aux combats de nos ancêtres.

Correspondant 


« À tous nos ancêtres malgaches, paix et respect »

Voici le document que nous a transmis Aline Murin-Hoarau « en hommage aux esclaves, aux marrons, aux engagés, à nos ancêtres malgaches, africains morts sans sépulture » :

« Aujourd’hui à nouveau, nous sommes réunis dans ce cimetière du Père Lafosse pour honorer nos ancêtres morts sans sépulture. Une stèle y symbolise l’histoire d’un peuple uni par plusieurs cultures. Une stèle qui signe notre réparation historique dans le respect des identités de chacun et de l’égalité de toutes les cultures.

N’oublions pas nos ancêtres arrachés de leur terre natale : Madagascar, l’Afrique. Notre devoir de mémoire s’adresse à ces ancêtres qui sont arrivés dans l’île enchaînés et ont subi d’emblée leur désidentification, leur désociabilisation et surtout leur désancestralisation.

N’oublions pas nos ancêtres qui ont vécu sur cette terre le martyre de l’esclavage. Rendons hommage à nos aïeux morts sans prières, sans rites. Rendons un hommage aux marrons, aux esclaves morts sans soin dans nos montagnes, nos sentiers, nos ravines, dans les habitations.

Notre île est une terre d’ancêtres tourmentés et l’ombre du marron et de l’esclave plane. Leur âme erre sans considération.

Célébrons aussi ceux qui ont su préserver leur culture construite dans la division et le mépris.

Rendons un hommage à ceux qui, même au cœur de l’enfer esclavagiste, ont fait briller la flamme de la résistance, ont brandi le drapeau de la liberté. Rendons hommage à nos ancêtres qui ont su en premier avec courage, intelligence dans l’union, la solidarité préserver leur rite, leur culture, leur musique : le maloya, notre identité ; noute zancèt, noute fors.

Rendons hommage à ceux qui en premier ont dit fièrement et dignement : « nou ké pa plis, nou lé pa moin, respèkt anou ».

Nous tous, aujourd’hui arrières petits-fils et filles de nos parents esclaves, engagés, marrons, réhabilitons leur mémoire, affirmons leur dignité. Ce sont nos parents, nous leur devons l’existence ; ce sont nos parents, nous leur devons cette île arc-en-ciel. Rendons-leur un hommage sacré. Rendons-leur un haut et digne hommage lumineux. Libérons leur âme de ces injustices, de ces douleurs. Soyons conscients que leur courage incarne la résistance, et que les luttes de demain vont ensoleiller nos victoires pour vivre ensemble, unis tous sur notre île : l’île de La Réunion.

À tous nos ancêtres malgaches, paix et respect ».

A la Une de l’actuMaison des civilisations et de l’unité réunionnaise

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