Semaine de la laïcité

Soyons prudents et humbles

30 septembre 2005

L’exposition présentée dans le hall de l’Hôtel de Région dans le cadre de la semaine de la laïcité est intitulée : “La Réunion, l’autre visage de la laïcité française”. Comme si la France était la seule patrie de la laïcité et que dans le monde n’existaient pas d’autres pratiques laïques dont La Réunion aurait révélé un des aspects.

Au nom d’une assimilation forcée, on veut à tout prix inscrire notre combat laïc dans le cadre de celui qui a été mené en France. Alors, que l’on songe seulement à un détail : lorsque la loi de 1905 est votée pour régler des problèmes internes à l’Hexagone, La Réunion était encore une colonie et cela faisait à peine 50 ans que l’esclavage y avait été aboli. Autrement dit, l’Histoire et les réalités politiques n’ont pas permis à nos ancêtres de participer au fécond combat de la laïcité. Ils avaient d’autres chats à fouetter : sortir de l’esclavage et sortir de la dure situation sociale de l’époque. Au nom de cette même volonté assimilationiste - certains parlent d’intégrisme - on veut nous appliquer la conception métropolitaine de la laïcité, celle de rapports entre l’État et les religions et, en premier lieu, à la religion catholique.

L’Église et la politique

Nous sommes sommés d’épouser les querelles qui opposent défenseurs d’un État laïque à ceux qui soutiennent une église salvatrice de nos âmes et conscience. Nous voilà sommés de choisir un camp. Selon le point de vue adopté, l’un est nécessairement meilleur que l’autre.
Ici, l’Église a accompagné la colonisation et, dans une période récente, elle a soutenu le pouvoir dans sa lutte contre le “séparatisme”.
Il y a encore quelques années, elle n’hésitait pas à s’immiscer dans les débats politiques. Elle a condamné la candidature du Père René Payet aux municipales de Saint-Leu en 1995 et elle a ostensiblement soutenu celle de Cyrille Hamilcaro en 2001, pour ne prendre que ces exemples.
Lors des événements du Chaudron, elle a été parmi ceux qui ont propagé la thèse que le PCR était derrière les troubles et qu’il manipulait les émeutiers. Elle avait alors réussi à influencer les hautes sphères du pouvoir qui n’avaient pas hésité à reprendre à leur compte la même théorie.

Grande part de responsabilités de l’État

Ces faits sont indiscutables. Ils ne doivent pas cacher que l’Église a connu une évolution. Alors qu’elle excommuniait les autres religions, elle s’est ouverte et a commencé à nouer avec elles un dialogue exemplaire. Elle tente une certaine neutralité sur le plan politique. Mais, comme elle-même le dit, il n’est pas facile de chasser ses vieux démons.
Ce visage contrasté sinon ambigu de l’Église ne doit pas non plus nous faire oublier une autre réalité : ici, c’est bien l’État - sous la figure qu’il a pris selon l’époque en cause - qui nous a imposé la colonisation puis l’esclavage, puis les atteintes aux libertés avec la fraude électorale et puis encore un système social inégalitaire. Il aura fallu attendre la fin des années 80 pour que s’amorce le début de la mise en œuvre de l’égalité !
Pour l’État, il n’a pas été question ici d’appliquer les principes de base constitutifs de la laïcité : l’égalité, la démocratie, la liberté d’expression, de vote, de déplacement, etc...

Illétrisme et chômage malgré l’école

On veut voir en l’école le creuset de la laïcité, le lieu où celle-ci s’exprimerait et se fabriquerait presque. Dans les lieux clos de l’école, nous serions tous égaux et tous placés à la même enseigne.
Qu’on le veuille ou non et malgré les progrès accomplis, le système éducatif réunionnais ne réussit toujours pas à être une arme contre les inégalités sociales. L’école ici continue à fournir des illettrés - on recense dans l’île environ 120.000 personnes ne sachant plus ni lire, ni écrire - des diplômés chômeurs et des déçus. Ce n’est pas le fruit du hasard si c’est à l’école ou autour de l’école que se multiplient les pillages ou les scènes de rackets : par ces gestes, les exclus de la société réunionnaise font payer à l’école le prix de leur exclusion. Pour les uns, l’école reproduit les inégalités de notre société. Pour les autres, elle les aggrave. En tout cas, elle ne les réduit pas.
C’est à l’école, année après année, que se vérifie l’incapacité de la société réunionnaise à fournir suffisamment de jeunes capables d’occuper les emplois qu’elle peut créer. Cette année, on a du faire appel à plus d’un millier de personnes venues de Métropole pour occuper les postes libérés ou créés dans les établissements scolaires de l’école. Une situation critiquée et dénoncée.

Inégalité de revenus à l’école

Enfin, c’est aussi à l’école, plus encore à l’école de base, c’est-à-dire l’école élémentaire, que l’on constate et vit le plus fortement notre système inégalitaire de revenus : d’un côté des enseignants souvent titulaires et aux salaires indexés et de l’autre la cohorte des ASEM et autres personnels des cantines abonnés, pour la plupart en emplois précaires et payés au SMIC quand ce n’est pas à un demi SMIC.
Nous devons donc aborder cette question de la laïcité à La Réunion avec prudence sinon humilité. La reproduction mécanique de schémas métropolitains nous éloigne de notre réalité quotidienne et ne nous permet pas de l’influencer. Ce qui, au nom de la laïcité, serait un comble : celle-ci s’accommode en effet mal de l’immobilisme.

J. M.


La Réunion au sein d’un océan musulman

Si l’on devait garder comme conception de base au principe de la laïcité celle qui en fait d’abord une question de rapports entre l’État et les religions, nous ne pouvons pas ne pas aborder le problème de l’évolution de ces religions. Dans les rapports qui se construisent à La Réunion, force est de constater que tout en gardant son influence, l’Église voit la concurrence grandir. Pour ne prendre qu’un seul aspect : au cours de ces 10 dernières années, il s’est construit dans l’île plus de mosquées, de temples tamouls ou de lieux destinés au culte bouddhiste que d’églises ou de chapelles catholiques. Même les cultes chrétiens plus ou moins contestataires de l’Église (témoins de Jéhovah, adventistes, etc.) se développent de manière régulière.
Autre remarque : même si l’île n’est pas épargnée, le phénomène des sectes ne connaît pas l’ampleur et l’influence qu’il a par exemple aux Antilles où il est une véritable catastrophe. C’est dire que les Réunionnais et les Réunionnaises ont, jusqu’à aujourd’hui en tout cas, trouvé des réponses à leurs problèmes d’ordre métaphysique sinon social dans les grandes religions de l’île et dans le développement social et politique de l’île.
Nous devons également sortir du cadre étroit de nos frontières et avoir en tête les changements qui vont s’opérer dans notre région.
Celle-ci connaîtra un véritablement bouleversement démographique.
Quand La Réunion aura un million d’habitants, Maurice en aura environ un million 200.000, Madagascar 30 millions ; la Tanzanie une quarantaine de millions.
À travers la transition démographique qui marque les pays d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie, le bassin de population qui connaîtra le plus fort taux de croissance sera le bassin de l’océan Indien où le phénomène concerne tous les pays de la zone, et quand nous serons à près de 8 milliards d’habitants sur la planète, près de 3 milliards vivront dans notre région.
Cela ne peut pas être sans conséquences sur notre situation.
Notre région sera la région des grandes rencontres, des grands chocs de civilisations, des grands chocs culturels et des grands chocs religieux.
Nous sommes dans un océan Indien qui sera un océan à majorité largement musulmane. Le centre de gravité de l’islam que l’on situe actuellement au Moyen-Orient, se déplacera vers le Sud-Est asiatique, vers l’Indonésie qui sera le pays concentrant le plus de musulmans.
Que pourra bien faire La Réunion au sein de cet océan musulman ? Que pourra-t-elle faire au milieu de tous ces changements alors que notre société n’a pas acquis toute la plénitude de sa cohésion à cause de son jeune âge et parcequ’elle n’a pas encore réussi la confrontation et la synthèse de tous les apports dont elle a été l’objet ?
Notre laïcité se mesurera à notre capacité à affronter ces défis. Notre dialogue avec un océan Indien musulman est mal engagé quand on pense que, pour freiner l’immigration mahoraise chez nous au nom de la défense de notre culture, certains sont prêts à tout y compris à une réforme du droit du sol. Or, Mayotte et le reste des Comores pratiquent un Islam considéré comme tolérant.


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