Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition

Traite et esclavage : le régime le plus long à La Réunion

23 août 2016, par Manuel Marchal

Ce 23 août est la Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition. La Réunion est concernée par cet événement car c’est ce moyen qui a été utilisé pour faire venir dans l’île les travailleurs destinés à créer de la richesse. En effet, cette journée internationale renvoie à la période de l’esclavage qui a pendant plus de la moitié de l’histoire de La Réunion. À cette époque, la majorité des habitants de La Réunion n’avaient pas le statut d’être humain.

La stèle réalisée par l’équipe de la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise, située dans le cimetière du Gol à Saint-Louis.

Dans la nuit du 22 au 23 août commençait à Saint-Domingue une grande révolte contre l’esclavage. C’est cette date qui a été retenue par l’ONU pour commémorer la Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition. La lutte à Saint-Domingue allait déboucher sur la victoire des rebelles. Malgré le rétablissement de l’esclavage en 1802 par Napoléon Bonaparte, la France n’a pas réussi à priver de leur liberté ceux qui se sont eux-mêmes affranchis. Dans les autres colonies, il a fallu attendre 1835 pour que la traite soit abolie et 1848 pour que l’esclavage le soit définitivement.

Si Saint-Domingue avait montré qu’il était possible de mettre fin à l’esclavage, la France mit du temps à reconnaître sa défaite. Puis elle a voulu faire payer le prix fort aux nouveaux émancipés.

Le prix de la liberté

En 1825, le gouvernement français a décidé de renoncer à conquérir l’ancienne partie française de Saint-Domingue, désormais appelée Haiti. Mais le lobby des colons et des commerçants ne voulait pas renoncer à ses privilèges. Il a obtenu que la France intervienne auprès de l’ancienne colonie pour obtenir une indemnité, et des conditions très favorables pour les échanges. L’indemnité a été chiffrée à 150 millions de francs or. Cela correspondait à la totalité de la richesse produite à Saint-Domingue avant l’abolition de l’esclavage, quand l’île était le premier pays producteur de sucre au monde. C’était l’équivalent de 15 % du budget annuel de la France. Pour obliger le gouvernement haïtien à payer cette somme, la France a fait appareiller une escadre forte de plus de 500 canons pour forcer les autorités haïtiennes à signer la reconnaissance de dette et l’accord commercial. Révisée à 90 millions de francs or en 1838, cette dette allait peser pendant plus d’un siècle sur les finances du jeune État. Elle ne fut remboursée qu’en 1952 [1]. Malgré l’avénement de la République, la France n’a pas renoncé à faire payer ceux qui ont osé se libérer de l’esclavage à ses dépens.

Les oppresseurs indemnisés

Cette situation n’est pas sans rappeler ce qui s’est passé à La Réunion. Lors de l’abolition de l’esclavage en 1848, ce ne sont pas les victimes qui ont été indemnisées mais les oppresseurs. En 1849, l’Assemblée nationale avait voté une loi prévoyant une indemnité de 120 millions de francs pour les anciens esclavagistes des colonies de la Martinique, de la Guadeloupe et dépendances, de la Guyane, de La Réunion, le Sénégal et dépendances, Nossi-Bé et Sainte-Marie [2], et pour créer des banques dans ces colonies. Dans notre île, la Banque de La Réunion a découlé de cette loi. À La Réunion, la commission locale chargée de l’application de la loi donnait droit une indemnité de 711,59 francs par esclave [3].

Lors des débats qui ont précédé l’adoption de cette loi en France, d’autres voix demandaient que les victimes soient indemnisées. C’était notamment celle de Victor Schoelcher. « Schoelcher proposera trois mesures fondamentales, à savoir d’une part l’extension de l’indemnité aux anciens esclaves, d’autre part l’attribution d’un lopin de terre à ces derniers à titre de dédommagement et enfin l’expropriation des terres usurpées par les familles de planteurs depuis les débuts de la colonisation. Elles seront toutes les trois rejetées par la commission et par le gouvernement provisoire. » [4].

Dans les livres d’histoire de France, la Révolution de 1848 est présentée comme celle qui a permis aux hommes mais pas aux femmes d’élire le président de la République, ou celle qui a préféré le drapeau tricolore au drapeau rouge. Pour La Réunion, elle a débouché sur la création d’un régime qui est responsable d’une inégalité fixant le cadre d’une société réunionnaise restée sous le régime colonial pendant un siècle supplémentaire. Cette décision a laissé des traces qui s’observent encore aujourd’hui.

La bataille de la mémoire

L’esclavage a duré plus de la moitié de l’histoire de La Réunion. C’est pourtant la période la moins connue. Durant cette époque, la majorité des habitants de l’île n’étaient pas considérés comme des êtres humains. Nombreux sont morts sans avoir droit à une sépulture. L’ancienne direction de la Région Réunion avait pris des initiatives pour briser cette chape de plomb. C’est ainsi que l’équipe de la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise avait réalisé la construction d’une stèle destinée à rendre hommage à ces Réunionnais dont l’histoire est méconnue. Avec le changement de majorité à la Région, la collectivité a abandonné cette mission. Aujourd’hui, Sainte-Suzanne entretient toujours le flambeau en organisant une cérémonie tous les 31 octobre afin de saluer la mémoire des Réunionnais qui ont vécu sur cette terre pendant plus de la moitié de l’histoire de notre île.

M.M.

A la Une de l’actuMaison des civilisations et de l’unité réunionnaise

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