Trésors de tortues ...

9 novembre 2007, par Sophie Périabe

Hier, lors d’une conférence à l’Observatoire des tortues marines, à Saint-Leu, Guy Lebrun, ancien Directeur de la ferme CORAIL, et Bernard Bonnet, docteur en océanographie et universitaire aujourd’hui à la retraite, sont revenus sur l’historique de la création de la ferme CORAIL et du combat qu’ils ont mené pendant des années auprès des pouvoirs publics pour que la ferme, à l’époque, puisse avoir recours à l’aquaculture de tortues marines, tout en menant des actions de protection de l’espèce.
Car même aujourd’hui, les deux spécialistes restent convaincus que « le ranching et la protection des tortues marines sont compatibles ».

Petit retour dans les années 1970, même à l’époque, on disait que l’aquaculture était l’avenir de l’humanité. Aujourd’hui, l’élevage en milieu aquatique représente 30% de la consommation halieutique humaine, contre 4% il y a 30 ans.
Et grâce à l’aquaculture, la tortue constituait un atout original pour l’économie de La Réunion. Même si, dans notre île, la tortue avait pratiquement disparu à cause notamment d’une exploitation excessive et incontrôlée, la protection rigoureuse exercée dans les Iles Eparses (Tromelin et Europa particulièrement) avait permis de mieux gérer cette ressource naturelle.
Les scientifiques avaient donc opté pour un élevage en ranch, la politique choisie consistait à favoriser la reproduction de l’espèce dans son milieu et à alimenter simultanément les besoins de la production aquacole marine.
Les bébés tortues qui naissaient la nuit étaient laissés dans leur milieu naturel et ceux nés le jour étaient prélevés, car ayant peu de chance de survivre à cause des prédateurs nombreux dans les Iles Eparses. Ainsi, cette opération garantissait l’équilibre biologique et était, en même temps, bénéfique à l’économie locale.

800 bébés tortues arrivés à La Réunion

C’est ainsi qu’en 1973, 800 bébés tortues ont été envoyés à La Réunion. « Nous les avons mis dans des bassins chez un habitant de la Saline et entre 600 et 650 sont arrivés à 1 an. Nous les avons nourris de chairs à poisson, puis avec des patates douces hachées. Ces animaux étaient faciles à domestiquer et les études que j’ai menées m’ont amené à envisager une ferme industrielle », explique Guy Lebrun.
Une aquaculture, avec une production de 1.000 tonnes par an, était économiquement envisageable.
Mais les politiques n’ont pas suivi, et à la fin de l’expérience, les tortues ont été relâchées dans leur milieu naturel.
Puis, « en 1978, nous avons eu l’agrément pour une production de 100 tonnes par an ». « Ce n’était de 10% de ce que nous avions envisagé, mais c’était déjà bien ». Les premiers travaux de la ferme CORAIL débutent et ont coûté 15 millions de francs.
La ferme CORAIL a permis de mieux connaître les tortues marines, de nombreuses études ont été menées par les scientifiques sur la croissance, la structure génétique, la nutrition, etc...
Puis, très vite, l’ouverture au public a été un succès, 45.000 visiteurs payants ont été recensés la première année.
S’en est suivi un succès touristique important autour de l’artisanat de l’écaille de tortue, de la gastronomie ; le foie gras de tortue avait même reçu un Prix.
Les carapaces de tortues se vendaient comme des petits pains, 1.500 par an, lors des visites de la ferme CORAIL. Une école d’écaillistes a vu le jour à Saint-Leu, les possibilités de valorisation étaient nombreuses et le marché d’exportation important.
Mais pour s’ouvrir sur le marché extérieur, l’obtention d’un agrément international pour l’élevage en ranch était obligatoire. Une coopération régionale aurait pu s’instaurer, de façon à ce que le système intégrant protection et production puisse s’étendre aux îles voisines, en réponse aux intérêts en matière à la fois d’écologie et de développement économique.

Les demandes de déclassement refusées

Des missions ont donc été organisées pour demander un déclassement à la CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction) pour la production et la commercialisation de tortues marines à La Réunion et dans les Îles Eparses.
En 1987, la quatrième demande de déclassement est toujours refusée.
La protection internationale des tortues marines a été renforcée dans le cadre de la Convention de Washington signée le 3 mars 1973 et amendée à Bonn le 22 juin 1979, qui réglemente le commerce des espèces menacées. Depuis 1981, toutes les espèces de tortues marines sont inscrites à l’annexe I de la convention, la plupart des Etats s’en interdisant officiellement le commerce, à l’exception de celui de produits identifiés issus de “ranch” ou de fermes agréées.
Et c’est à cette solution que se rallie l’expérience d’élevage menée à La Réunion.
A la conférence d’Ottawa, la demande des scientifiques réunionnais n’a pas abouti.
A son retour, Guy Lebrun a été licencié par la société anonyme CORAIL.
Malgré cet échec, à l’échelle régionale, les chercheurs se sont investis pour la conservation, à l’éducation de la protection des tortues marines.
Aujourd’hui, 25-30 ans après, des pontes ont lieu sur des plages de l’île que nous ne citerons pas. Nous avons même eu le privilège, hier, de voir des photos prises la veille d’une éclosion de tortues marines sur nos plages, signe que les tortues reviennent toujours pondre là où elles sont nées.
Il est donc possible de faire revenir des tortues sur une île aussi peuplée et développée que La Réunion.
« Ce résultat montre que le modèle mené jadis à La Réunion, écologique et économique, n’est pas perdu », indique Bernard Bonnet.
« Il peut y avoir compatibilité entre exploitation en ranch et protection efficace de tortues ».
Se pose aussi la question du devenir des 6 écaillistes de l’île. Aujourd’hui, ils travaillent avec des stocks d’écailles congelées d’avant la Convention, et vivent difficilement.
Mais après, lorsque ce stock sera écoulé, que vont-ils devenir ?
Il est clair qu’il ne s’agit pas d’un métier d’avenir...

Aujourd’hui, la nature et la biodiversité ne sont pas amenées à disparaître si on y met la passion et la connaissance. Parfois, il faut juste aider la nature.
« Je suis fier de ce qui à été fait jusqu’ici, et en tant qu’universitaire, je reste convaincu que le ranching et la protection restent possibles », conclut Bernard Bonnet.
Aujourd’hui, il devient nécessaire de repenser la gestion des ressources dans une perspective de développement durable. La présence de l’Homme dans certains milieux peut être parfois interdite, mais l’Homme peut aussi aider et protéger la nature.

Sophie Périabe


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